Ce soir, à 18h30, on joue la conférence décalée à la maison de quartier de Rosendaël centre. On a crée cette petite forme en cinq jours, tout en continuant à aller à la rencontre des habitants de la maison. On est prêts ou à peu près. C’est de l’improvisation, mais on a nos marques, nos repères, ça parle de nous mais du quartier surtout. De nous qui essayons de connaître le quartier, de partir à la rencontre toujours et encore, en se débattant avec des problèmes de planning, d’horaires, de rendez-vous. Tout n’est pas calé, c’est décalé mais pas de Calais comme dirait Didier. On espère voir du monde ce soir, on espère faire comprendre notre travail tout en faisant rire, on espère que tout le monde s’y retrouvera. Il est 17h30 et il y a un soleil radieux, on s’accorde une petite pause tous ensemble devant la maison de quartier, des enfants jouent dans le square et d’autres au foot sur la place Paul Doumer, les gens vont et viennent dans la maison, deux dames regardent toute l’agitation bien assises sur leur banc. Dorothée, Martine, Sabine, Marie K et Guy s’échauffent pour l’adage. À 18h15, juste avant la conférence, on a donné rendez-vous pour une Flash-Mob, les breakers qu’on a rencontrés lundi arrivent petit à petit, ils vont danser avec nous. On va danser tous ensemble et puis on va jouer tous ensemble…
La Veillée des Veillées de Dunkerque
Dorothée à Rexpoëde : fin de performance

Thomas
ce n’est pas parce qu’on voit bien qu’on sait regarder
Ce matin, nous avons rendez vous avec madame Creuze, présidente de l’association VIS TA VUE, qui compte aujourd’hui 23 membres dont 8 malvoyants « on est pas que des bigleux dans l’association, et le terme n’est pas péjoratif ! « . Au fil des années, le handicap visuel de madame Creuze s’est aggravé. Elle décide alors de créer un blog pour relayer des informations sur l’avancée de la recherche, pour échanger. Arrive Facebook et les groupes de discussions, le blog devient alors un soutien pour beaucoup de déficients visuels et on l’encourage à constituer une association. VIS TA VUE réunit voyants et malvoyants, elle y tient, pour faire tomber les préjugés « chacun doit faire un pas vers l’autre ». Ils se retrouvent 2 vendredis par mois à la maison de quartier de Rosendaël.
Un des axes de VIS TA VUE est la sensibilisation en informant et en communiquant le plus possible : en direction des automobilistes et commerces -finalement rendre un lieu accessible aux malvoyants n’est pas si coûteux, l’association prône par exemple le gros caractère, bien contrasté, facile à mettre en place- et dans les collèges et les entreprises l’association propose des mises en situation de handicap pour que les gens se sentent concernés. Dans le cadre de la sensibilisation, VIS TA VUE a entamé un projet de pièce de théâtre, dont l’écriture se nourrit des anecdotes du quotidiens des malvoyants.
VIS TA VUE, de manière plus large, peut proposer aussi un accompagnement aux personnes face au handicap d’un proche, pour les aider à trouver du matériel adapté, pour les aiguiller dans leur recherche de soutiens financiers.
Via l’association, madame Creuze a fait une rencontre extraordinaire. Une dame est venue lui proposer d’être son guide pour la course au moyen d’une cordelette. Elle a pu reprendre le sport, et cette pratique » fut une découverte des 2 côtés ».
On ne réalise pas tous les apprentissages qu’entraîne le fait d’être malvoyant : les cours de canne, on apprend à « balayer » le sol avec l’objet (les mouvements de bras se font à l’inverse des pieds) pour pouvoir regarder devant. On développe l’écoute , on repère tous les bruits de la circulation, et chaque détail du mobilier urbain devient un repère ( un banc, un revêtement particulier…). Toutes ces expériences permettent aux malvoyants de prendre confiance en eux, « une personne malvoyante ne peut pas être distraite en locomotion, sinon c’est dangereux pour elle! ».
Mais l’accès à la culture reste compliqué. Le Louvre Lens, très beau et très épuré est un cauchemar pour les déficients visuels : il est très difficile de se situer dans un grand espace clair, sans balisage au sol. Et s’approcher des oeuvres est très mal perçu. Quelques films au cinéma sont en audio description. Au théâtre c’est beaucoup plus marginal.
Le mari de madame Creuze, passionné de photo, proposera bientôt un stage au LAAC. Il a déjà exposé ses oeuvres photographiques sur la déficience visuelle. Ses photos mettent en scène la vie quotidienne des malvoyants, poétisent des objets de par sa perception. Madame Creuze a même posé avec sa canne blanche, comme un accessoire de mode.
Madame Creuze nous dit qu’il faut apprendre à regarder, c’est toute une éducation.
Ce n’est pas parce qu’on voit bien qu’on sait bien regarder.
Dorothée danse l’adage avec les breakers
Il y a (the world is a stage, nous n’en sommes que les acteurs et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles)
Il y a alors Marie qui ne connaît pas bien Rosendaël. Il y a Marie Antoinette. Il y a Jean Luc. Il y a le commissariat et Ghyvelde. Il y a peu de soleil. Il y a le yoga. Il y a de la crème de lentilles avec kiri cumin. Il y a des répétitions. Il y a une sorte de thérapie familiale express qui s’opère à l’avant scène. Il y a des Ferrero et du Sexion D’assault. Il y a un passage à niveau tout rouillé. Il y a Adam et Eve coiffure. Il y a un écureuil caché dans un moulin. Il y a une rue Seguin mais pas de chèvre. Il y a les blagues de Didier. Il y a la S.A Depitre. Il y a Aline qui anime l’atelier Art et Création et cuisine. Il y a Vannina qui est déléguée au secteur jeune de la maison de quartier. Il y a un château qui est une MJC. Il y a des breakers qui répètent l’adage. Il y a la vraie vie et celle qu’on réinvente et nous qui ne savons plus très bien où on est. Il y a Thomas qui écrit comme on respire. Il y a Maggie qui tricote une couverture de bébé. Il y a Hervé qui arrive dimanche soir et démarre à huit heures du matin lundi au lycée du Nordoover. Il y a Diego et Tornado. Don Diego de la Vega. Et Zorro. Il y a qu’il fait très chaud dans la salle vitrée de la maison de quartier. Il y a la conduite du spectacle « Rosendaël, mon amour » et il y a quelque chose de bien au royaume du Danemark.
kiri kiri cumin cumin
Lentilles, épeautre et ch’tiramissu
Ce matin, atelier cuisine pour les deux Marie aux noms Bretons. On retrouve Aline, qui anime également l’atelier art et création. Elle nous présente l’atelier: « Ici, on se retrouve pour cuisiner des recettes simples, accessibles à tous, principalement avec des légumes de saisons. J’ai un budget de 7 euros 50 par atelier, et on a que deux brûleurs électriques pour tout réaliser. Il faut aller au plus simple, pour que chacun puisse reproduire les plats à la maison. » Le menu du jour est composé d’une crème de lentilles au kiri et cumin, puis de bananes caramélisées, la dégustation se fait sur place. Ce matin, le groupe n’est pas au complet, entre les vacances et les jours fériés certaines se sont emmêlé les pinceaux. Il y a Florence, qui est revenue habiter ici depuis un an après 25 ans en région parisienne, Brigitte, qui n’aime ni les lentilles, ni les bananes, Cyndie et Dominique qui viennent de la maison bleue, une structure pour adultes handicapés. L’ambiance est joyeuse et conviviale, on commence par le café pendant que les lentilles cuisent. On leur demande si des recettes les ont marqué: « la soupe à l’épeautre » répond Florence. « Le ch’tiramissu » enchaîne Cyndie. »C’est un tiramissu au Maroilles? » demande Marie L. « Mais non, aux speculoos! » répondent-elles en choeur. Aline essaie de proposer un maximum de plats de la région. À 10h30, on déguste toutes ensemble la crème de lentilles, Didier qui passe par là, a droit à un bol. C’est délicieux. Florence nous dit qu’elle viendra demain à la conférence, Brigitte ne pourra pas elle travaille très tôt le matin et tard le soir à l’entretien de bureaux: « à cause de ça, je rate tous les spectacles! pourtant, y’en a plein que j’aimerais voir! » On parle de leurs maris, celui d’Aline a 60 ans dans une semaine et partira en retraite en juillet, en ayant effectué 40000heures d’interim pour Manpower. Le mari de Florence réside à Paris, il travaille pour la SNCF. il a essayé de venir s’installer avec elle à Dunkerque il y a un an, et faire les allers-retours tous les jours. »En un an, il en a pris 10! Physiquement je veux dire, je ne le reconnaissais plus, je lui ai dit mais reste à Paris! Il revient le week-end maintenant. » On quitte l’atelier ravies et rassasiées en espérant les retrouver demain.
les pêcheurs du 1er mai
comme si…
Suite de la résidence du mois de la Veillée des Veillées à Dunkerque. On continue à rencontrer plein de gens qui participent aux activités de la maison de quartier Rosendaël. Notre premier temps de travail à Rosendaël a eu lieu en octobre 2011. Pour notre dernière semaine au quartier, on prépare un spectacle dédié à Rosendaël. Hier on a répété toute la journée et Didier nous a souhaité bonne fête du travail avec un brun de muguet. Et Sabine avec des chocolats. Toute la journée on a improvisé dare dare. Il faut qu’on soit prêt demain soir. On joue tous ensemble l’histoire d’une compagnie de théâtre (hvdz) qui réalise avec les habitants du quartier un film-spectacle dont les habitants sont les personnages principaux (une Veillée). On met en jeu notre travail. Pour cela Thomas P a inventé une histoire. On fait comme si on travaillait pour la première fois avec une nouvelle arrivante, Marie L. Chacun interprète son propre rôle en décalé. On compose, on caricature. On déforme la réalité comme dans un rêve fou. On déforme la vrai vie comme un tableau de Munch, quand le cri envahit tout le tableau. Mais on tient absolument à ce que ce soit ludique. Marie K et Thomas ont pris note de toutes nos idées. Thomas nous a indiqué des jours et des situations et on a improvisé. On va passer en revue une semaine de travail loufoque (où se mélangent allègrement vérité, fausse vérité, gros mensonge, contradictions, coups de pied à la morale et autres monstruosités) en une petite heure. On sait qu’on diffusera, au cours de cette pièce de théâtre qu’on appelle Rosendaël, mon amour un petit film de vingt minutes qui retrace notre aventure vraie dans l’agglomération dunkerquoise et à Rexpoëde, à travers des témoignages et les regards des personnes qu’on a rencontrées durant ces deux ans. On répète cet après-midi et demain toute la journée. On va jouer dans la grande salle de la maison de quartier.




