Armelle

Jérémie, Mourad et Marie S. se sont fait invités cette après-midi par Armelle à boire un café. Résultat des courses, ils sont restés une bonne grosse demi-heure avec elle.

Armelle est une femme de caractère, elle nous dit que c’est comme cela, la vie est un combat. Si on ne frappe pas du poing sur la table, souvent on a rien. Pour illustrer ses propos, elle nous raconte une anecdote (vous qui êtes venus pour cela nous dit-elle), celle de l’obus.

Armelle est fan de jardinage, et quand elle est arrivée dans sa maison, le jardin était nivelé et plein de déchets de briques y étaient laissés par les ouvriers. Avec sa famille, ils décident de remettre le jardin en état. Les voilà partis à coup de pelles et de pioches, et Armelle cogne contre quelque chose: un obus. Armelle qui n’a peur de rien le prend dans ses mains et le sort de terre. Puis, elle appelle la préfecture (un samedi ) qui lui dit qu’une équipe de déminage sera là dès le lundi. Armelle qui travaillait toute la journée dit donc à sa plus grande fille de rester à la maison le lundi. La jeune fille attend toute la journée, personne ne vient.

Elle rappelle la préfecture. Une dame lui dit que, peut-être, ils viendront, que si c’est un obus explosif, de toute façon, ils le remettront en terre dans son jardin. Armelle leur dit qu’elle a 4 enfants, que depuis qu’il y a cet obus dans son jardin, elle ne dort plus. Alors qu’ils ont intérêt à faire quelque chose. L’autre oreille au bout du téléphone n’a pas l’air plus émue que cela. Alors Armelle tape du poing sur la table. Elle leur dit que si une équipe de démineurs ne vient pas dans la journée, elle prend elle-même l’obus pour venir le lâcher dans le bureau de la préfecture, et que si les démineurs viennent et ré-enterrent l’obus chez elle, elle appellera la presse.

Et bah, bim bam boum, l’obus fut emporté en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

Elle est comme cela Armelle. Accueillante et battante.

 

Y a que les routes qui sont belles…

Cet après-midi, nous avons rencontré Christiane. Au départ, elle nous dit qu’elle est retraitée et qu’elle aime jouer à la belote.

On continue à discuter et on découvre qu’elle écrit parce qu’elle pense qu’il faut informer les gens, ils faut que les gens comprennent le monde pour être plus forts.

Elle a été Taxi parisien et elle a rencontré plein d’hommes politiques, des hommes de mains du gouvernement. Elle nous dit que ces gens-là ne les considéraient pas car ils étaient des petites mains, des moins que rien mais qu’en fait, les petites mains voient et comprennent plein de choses. Notamment elle, en tant que taxi parisien, elle a vu des magouilles politiques, des trafics et elle a décidé de tout écrire. Elle veut informer les gens. Elle nous dit que si les gens étaient réellement au courant de tout ce qui se passe, ce serait la révolution.

Elle nous dit que le vrai travail de journaliste, c’est un travail important, qu’il faut du cran pour faire cela.

Elle nous dit que l’important dans la vie, c’est d’aimer les gens pour ce qu’ils sont, de les connaitre: les petits, les gros, les grands, les noirs, les handicapés, tout le monde. Que le simple fait d’être ensemble et de partager un moment mérite de l’amour. Elle nous dit qu’elle a créé un parti politique indépendant. Elle nous souhaitent une belle vie, nous dit « courage et gros bisous » et nous partons….

Même pas morts

Elsa et Pierre ont racheté il y a trois ans l’ancien logement de fonction du directeur de l’école de la cité des provinces. Il était délabré, ils l’ont retapé. Elsa est secrétaire sociale, Pierre travaille dans l’administration. Pierre a toujours dit: À quarante ans, je changerai de vie. Il a grandi dans les cités minières, pas loin d’ici.

Si on passe leur portail, qui reste à dessein toujours ouvert, on tombe sur un terrain de bonne taille pour le moment encore boueux puisque les travaux ne sont pas tout à fait achevés: on peut d’abord apercevoir un gîte arrondi de bois clair, derrière lequel se dressent deux autres modules plus orthogonaux, avec des toits-terrasses. Tout au fond du jardin, Pierre a transformé en bain nordique une cuve à fromage: l‘idée, c’est de recycler. On est pas des écolos purs et durs. On fait notre tri sélectif. On est éco-responsables, ajoute Elsa. On a posé des toilettes sèches, on a isolé avec de la laine de mouton ou avec du coton qui vient de l’Emmaüs de Bruay-la-Buissière.
Ici, la terre a été martyrisée pendant un bon siècle, avec les industries, et on cherche une manière de s’excuser auprès de la nature, en quelques sortes – on essaye de pas faire pire, déjà.
Depuis toujours, Pierre voit le potentiel touristique de la région. Avant le Louvre, même, j’en parlais. La Cité des Provinces est classée au patrimoine mondial de l’humanité. Juste derrière, il y a la base 11/19, de l’autre côté il y a l’école, qui est également classée et au loin (en montant sur les toits des bungalows), on voit Vimy (qui a été rétrocédé aux Canadiens), Notre-Dame de Lorette, la grande nécropole – C’était la ligne de front, ici. Beaucoup de gens sont morts. Le soir, tout est éclairé.
Pierre est en formation pour devenir guide bénévole. Respecter l’humain, respecter la nature, proposer un lien à l’histoire du bassin minier, voilà l’idée. Une manière de continuer de faire vivre ceux qui ne sont plus là mais qui sont toujours là – dans ma famille, le dernier mineur est parti il y a quatre ans. Il a été reconnu à 100% silicosé une semaine avant de mourir, raconte Pierre

La cité des Provinces, c’était le dortoir de la mine. Les patrons s’occupaient de tout, de l’éducation, de l’hygiène, des soins médicaux, des activités hors du temps de travail. Mais en échange, t’avais pas intérêt à te rebeller, sinon t’étais viré du jour au lendemain, avec toute ta famille. Dans ma famille, y’en a qui sont allés en prison, après les grandes grèves. En 1929, quand il y a eu la crise, les arrières grand-parents de Pierre ont été envoyés en Croatie, pour travailler dans d’autres mines. Ils sont partis par la Belgique. Un enfant y est né, il était belge. Ils ont continué vers l’Italie, un enfant y est né, il était Italien. Ils sont arrivés en Croatie, un enfant y est né, il était croate. Puis ils sont revenus en France, un enfant y est né, il était français. Entre temps, il y avait eu la guerre, les frontières avaient changé, un de ces enfants était devenu (de ce fait) apatride. Il a dû s’engager dans la légion étrangère pour avoir une nationalité. C’était des histoires comme ça: cinq enfants, cinq nationalités. Les gens qui travaillaient à la mine venaient des fermes des environs parce qu’au début y’avait que des paysans, ici, mais ils venaient aussi de très loin, de Pologne, du Maghreb. On allait les chercher en train. Il y a quand même des choses qui se passent ici et qui ne se passent pas ailleurs. J’aime bien faire le parallèle avec le racing club de Lens. En 93, y’a eu la crise. Bon. on nous a dit, tout va fermer, ça va être foutu. Mais la région, elle est toujours debout. Le racing c’est pareil. J’en fais partie depuis que j’suis gamin et on était pas partis pour gagner. Mais quand on a gagné, dans les rues, c’était la folie! On a une image de looser mais finalement, on est toujours là. C’est ça, notre héritage, se battre, partager. Même pas morts, quoi. On nous dit C’est la crise. Mais la crise, on connait qu’ça, j’ai grandi dans la crise. Ici on est blindés pour la crise. Aujourd’hui, on parle d’avenir! Y’a tout à faire, tout! Notre fille, elle aura p’têt pas à chercher du boulot ailleurs. Elle pourrait avoir une belle vie dans la région. On parle là de l’économie, mais aussi des sentiments, des émotions, de tous les différents axes qu’on peut espérer dans une vie.
Il faut une génération pour relancer l’économie. Si les gens viennent, ça relancera l’activité. Si l’activité augmente, il y aura du travail. S’il y a du travail, il y aura plus de dynamisme. S’il y a plus de dynamisme, les gens viendront
– et la boucle est bouclée. On va aussi faire une petite boutique, là, sur le terrain. Si les gens de la cité ont des choses à vendre, je sais pas moi, des confitures faites maison, des bijoux, ils pourront les déposer ici.

Dernièrement, ce sont des gens de Carvin qui ont loué un gîte chez Pierre et Elsa. Mais si on pouvait comme ça faire se rencontrer des gens d’ici et des gens du bout du monde… vous imaginez, qu’ils se rencontrent chez nous, ce serait formidable! Et puis habiter dans la maison de l’ancien directeur de l’école… vous savez, le directeur, c’était quand même l’élite. Alors voilà, nous on est les enfants de prolos, de mineurs, dans la maison du directeur.

Sobrement

Ce dimanche après-midi, on enchaîne les porte à porte, pour les portraits chinois, les citations et les conversations filmées. Ce midi, on a joyeusement fêté l’anniversaire de Jérémie. On a cette habitude acquise depuis bien longtemps de souvent tous parler en même temps. Il est très rare qu’on puisse aller jusqu’au bout d’une phrase à moins de faire des phrases très courtes et de parler haut et fort. Mille sujets de conversations sont abordés en moins d’un heure et abandonnés au bout de quelques secondes, voire moins. Des éclats de rire fusent sans qu’on puisse comprendre la raison soudaine de ces effusions. Si on arrive en cours de conversation, on ne peut pas prendre le train en marche. Lancés à pleine vitesse, personne ne peut nous freiner. On va jusqu’au bout. On a follement fêté l’anniversaire de Jérémie.

Ouh là là

Hier soir chez Mme et M. Petit, un autre protocole, une nouvelle action artistique pour nos Portraits : Petites Formes. Jérémie et Guy ont essuyé les plâtres. Ce soir Martine et Didier présenteront leur petite forme au gîte qui se trouve derrière l’espace Louis Albert. Et on retrouvera toutes ces actions et bien d’autres encore qui auront lieu lors des parcours de ce vendredi 11 mars en début de soirée et ce samedi 12 mars dans l’après-midi, organisés avec la chaîne des terrils et l’office du tourisme de Lens -Liévin. Ces parcours seront ponctués de scénettes mises au point ces derniers jours par l’équipe d’Hvdz. Mourad et Marie (Angela) Bouts, qui nous a rejoints ce dimanche matin, se mêleront au parcours. Mourad va danser sur le city stade et Marie en collaboration avec Didier et Guy va dessiner sur les murs de la salle 1 de Culture Commune.

On a été reçu comme des rois dans la famille Petit et ce fut un grand plaisir d’inaugurer ici, cette nouvelle proposition. Cette nouvelle venue dans la liste des protocoles ; cette première fois, comme un premier rendez vous amoureux. Nous l’avons fêtée tard, jusqu’en fin de soirée. Vers 21h, on a rechargé le matériel dans le coffre de la ford mondéo break de Didier que nous avons déposé au Q.G, rue du Lyonnais.