Aller jusqu’au bout de sa force…

Tout se rejoint, tout se recoupe. Lucien et Marie S. ont testé le fait d’aller au bout de leur force aujourd’hui comme l’ont fait, il y a deux ans, les comédiennes d’Aimer Si fort, un des derniers spectacles de la compagnie. Rien de bien sorcier: aller chanter trois petites chansons devant l’équipe de Culture Commune. Lucien est sorti de cette expérience avec une crampe à la jambe, Marie en tachycardie. Mourad, lui, semble maitriser. Détendu tel un cormoran faisant  sécher ses ailes au soleil.

Cet après-midi, ils vont aller faire du porte-à-porte pour offrir leurs petites chansons aux gens. Une vraie épreuve, un vrai cadeau.

 

Entre 10h et midi, 10 jours avant le printemps…

Midi 1 Midi 2Midi 5Midi 4Midi 3

Rencontrer encore des habitant.e.s, flyers dans une main, appareil photo dans l’autre. Une rue, une rencontre. Leur demander si on peut les prendre en photo, de dos, de face, au choix.

Et puis prendre soudain le temps, avec une dame au bonnet blanc et manteau violet, et se raconter la vie. Avec un grand sourire, des rires, du bonheur. On espère se retrouver ce soir.

Fin du terrain

Dernier jour de terrain pour la compagnie. C’est la fin du temps que je préfère. La semaine de rencontre, de découverte et parfois d’errance sur un territoire. Ces moments-là où les préjugés ou les préconçus tombent, où l’on découvre un territoire que l’on pense connaitre mais que l’on ne connait pas réellement.

Les petits moments de surprise où une personne ou un contexte nous surprend, nous fait rire, nous rend triste, nous rend vivant. C’est là où ce projet fait sens. On aime aussi, bien entendu, retrouver les gens rencontrés lors de la projection du film-spectacle et voir leur réaction. Mais la fin du terrain, c’est toujours comme un petit deuil.

 

Conduite cité Des Provinces Lens-Liévin-loos en Gohelle (mars 2016)

Mme Cerjack 4.00 Pas de porte 1.00 Les institutrices 2.39 Ateliers enfants 2.34 Pas de Porte 1.00 Textes 1 Marie L et Mourad 1.30 Recup Tri (les ouvriers) 2.59    Recup Tri (les encadrants) 2.59 Textes 2 les objets 1.30 M.Boulet 2.45 Les Offe 3.17 Pas de couloir 1.00 Mariage 2.13 Portraits Chinois les plats 2.10 Portraits Chinois la musique 2.43 Pas de Porte 1.00 Conversations (1)2.06 Conversations (2) 2.30 Portrais Citations Mourad 2.00 Les Pollet tir à l’arc 3.08 Séquence Souvenirs 2.20 Godot 2.00 Séquence danse 1.00 A quoi tu penses 1.54   Textes 3 Marie L. Mourad 1.30 Elsa et Pierre 4.20 Famille Petit 1.42 Valse 1.00 Colombophiles 2.22 Textes 4 1.30 Dames qui dansent, Marie L. Mourad Marie Boots 2.50 Jeunes qui dansent,Marie L. Mourad Marie Bouts 1.30 Mme Bichon Marie L. Mourad Marie Bouts 2.42 Citations 2.13

C’est une vie comme ça

Madame Serjack nous accueille dans un salon rempli de soleil. Elle nous offre un café et un siège. On pose notre caméra et quelques questions, auxquelles elle répond amplement. C’est une fille et femme de mineur qui parle, qui raconte la vie d’avant, la solidarité, l’animation et les jardins entretenus. Elle dit l’âpreté à la tâche de son père et de son mari, le père qui a gravi les échelons jusqu’à devenir porion, le mari qui s’est occupé du syndicat, qui allait chez les uns et chez les autres pour expliquer ce que les patrons allaient faire, les grèves. Ce mari actif qui pendant ses temps de vacances allait en Champagne faire les vendanges, avec une petite équipe d’ici. Vous comprenez, il leur fallait de l’air. Ce mari qui a écrit deux livres, un sur sa vie et un sur la mine. Elle raconte aussi comment leur fils est descendu, à seize ans, pour voir le fond, et comment il a dit qu’il n’y mettrait plus jamais les pieds. Elle raconte les rythmes de sa vie: les enfants à élever, le mari qui changeait régulièrement d’horaires de travail. Madame Serjack nous raconte tout ça dans son salon rempli de soleil, avec une rose posée sur la table et toutes les photos de ses enfants et de ses dix petits-enfants sur le mur. Elle s’apprête à rejoindre le cercle des médaillés du travail, comme tous les jeudis, depuis 26 ans.

Déniaisée par des sources multiples

On peut imaginer le vaste pays paysan d’origine. Des champs, des forêts peut-être, du bocage avec ses petites parcelles et les saules têtards.
Ensuite, on a inventé la machine à vapeur et il a fallu trouver de quoi alimenter la bête. Alors, on a creusé. Quand on a trouvé ces importantes réserves de charbon gras dans le sous-sol, on a creusé encore plus profond. On a construit un réseau immense de galeries, un deuxième pays sous le pays. On a fait venir les hommes. Ceux du coin et ceux d’ailleurs. Des français, des polonais, des yougoslaves, des algériens, par vagues et en train. On a construit les infrastructures. Infrastructures de maçonnerie et de bois d’abord, de métal et de béton armé ensuite. On a fait descendre les hommes par cages de 50. En bas, on creusait en slip, à cause de la chaleur. Le méthane explose toujours deux fois. On a fait descendre des canaris. On a fait remonter les berlines par quatre, remplies de charbon. En haut, on vidait les berlines en 12 secondes. On a ventilé les galeries. On a fait descendre les femmes et les enfants. À la lampisterie, on échangeait sa lampe contre un jeton à son nom, comme ça on pouvait vérifier que tous étaient remontés. Une lampe, un jeton, une vie. À la douche, on se lavait selon son rang dans la hiérarchie, ingénieurs, mineurs de fond, mineurs de jour, galibots. Quand les femmes n’ont plus eu le droit de descendre, on les a employées au tri et au calibrage, un tissu sur la tête pour ne pas se salir le cheveu. Elles quittaient la mine pour se marier avec un mineur et tenir leur foyer, exemplaires. On a construit des cités, pour « fixer la main d’oeuvre », des églises et des magasins. On a attribué des jardins, pour que chacun ait son potager. On avait l’eau potable, le chauffage, les soins et l’éducation gratuits. On avait le lien social. Les mineurs étaient syndiqués, ils se battaient pour leurs droits, ils ont gagné quelques batailles.

Puis on a fait la guerre. On a tout détruit, tout inondé.
On a libéré la cote 70.

Il a fallu reconstruire. On en a profité pour améliorer les machines et le rendement, pour améliorer l’exploitation des sous-sol et l’exploitation des hommes. On a nationalisé les mines.

Mais déjà on se rendait compte que l’exploitation de ces veines coûtait trop cher, alors déjà, on a planifié la décélération et la fermeture. Pour ce faire, on a décidé de produire d’abord beaucoup plus et pour ce faire, on a regroupé les puits, d’où l’on a construit le plus haut terril d’europe. On a progressivement remplacé les mineurs d’ici par des mineurs du Maroc, qui n’avaient que des contrats courts et qui n’avaient pas les avantages de ceux d’avant – qui n’ont pas été reconnus, jusqu’en 1980, comme mineurs.

Enfin, on a décéléré et puis on a fermé. Les gens n’avaient plus de travail mais souvent la silicose, parfois jusqu’à 100%. Des poumons de pierre.
C’était il y a trente ans.