Déniaisée par des sources multiples

On peut imaginer le vaste pays paysan d’origine. Des champs, des forêts peut-être, du bocage avec ses petites parcelles et les saules têtards.
Ensuite, on a inventé la machine à vapeur et il a fallu trouver de quoi alimenter la bête. Alors, on a creusé. Quand on a trouvé ces importantes réserves de charbon gras dans le sous-sol, on a creusé encore plus profond. On a construit un réseau immense de galeries, un deuxième pays sous le pays. On a fait venir les hommes. Ceux du coin et ceux d’ailleurs. Des français, des polonais, des yougoslaves, des algériens, par vagues et en train. On a construit les infrastructures. Infrastructures de maçonnerie et de bois d’abord, de métal et de béton armé ensuite. On a fait descendre les hommes par cages de 50. En bas, on creusait en slip, à cause de la chaleur. Le méthane explose toujours deux fois. On a fait descendre des canaris. On a fait remonter les berlines par quatre, remplies de charbon. En haut, on vidait les berlines en 12 secondes. On a ventilé les galeries. On a fait descendre les femmes et les enfants. À la lampisterie, on échangeait sa lampe contre un jeton à son nom, comme ça on pouvait vérifier que tous étaient remontés. Une lampe, un jeton, une vie. À la douche, on se lavait selon son rang dans la hiérarchie, ingénieurs, mineurs de fond, mineurs de jour, galibots. Quand les femmes n’ont plus eu le droit de descendre, on les a employées au tri et au calibrage, un tissu sur la tête pour ne pas se salir le cheveu. Elles quittaient la mine pour se marier avec un mineur et tenir leur foyer, exemplaires. On a construit des cités, pour « fixer la main d’oeuvre », des églises et des magasins. On a attribué des jardins, pour que chacun ait son potager. On avait l’eau potable, le chauffage, les soins et l’éducation gratuits. On avait le lien social. Les mineurs étaient syndiqués, ils se battaient pour leurs droits, ils ont gagné quelques batailles.

Puis on a fait la guerre. On a tout détruit, tout inondé.
On a libéré la cote 70.

Il a fallu reconstruire. On en a profité pour améliorer les machines et le rendement, pour améliorer l’exploitation des sous-sol et l’exploitation des hommes. On a nationalisé les mines.

Mais déjà on se rendait compte que l’exploitation de ces veines coûtait trop cher, alors déjà, on a planifié la décélération et la fermeture. Pour ce faire, on a décidé de produire d’abord beaucoup plus et pour ce faire, on a regroupé les puits, d’où l’on a construit le plus haut terril d’europe. On a progressivement remplacé les mineurs d’ici par des mineurs du Maroc, qui n’avaient que des contrats courts et qui n’avaient pas les avantages de ceux d’avant – qui n’ont pas été reconnus, jusqu’en 1980, comme mineurs.

Enfin, on a décéléré et puis on a fermé. Les gens n’avaient plus de travail mais souvent la silicose, parfois jusqu’à 100%. Des poumons de pierre.
C’était il y a trente ans.

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