On avait fait le spectacle « C’est pour toi que je fais ça » avec les étudiants de la 9 ème promotion du CNAC. On est revenu régulièrement à l’école . Pas tous les ans. Tous les deux ans ou à peu près. Un peu moins ces dernières années parce qu’on est très pris par les Veillées. A longueur d’années. Mais quel plaisir de faire le travail qu’on fait en ce moment avec les étudiants de la 26 ème promotion ! Ce matin ils sont allés au lycée Bayen et à l’IME, rue Jeanne d’Arc avec Didier, Hervé, Marion et Jérémie pendant qu’on travaillait la conduite et le montage du spectacle de la Veillée de vendredi soir à 19h à la salle de l’Entre-Sort. Près de la gare avec la complicité de l’association Furies. Les techniciens-magiciens sont à pied d’oeuvre depuis ce matin pour monter les agrés, les lumières, le son, les écrans… Cet après-midi, tout le monde répète les textes qui seront lus pendant la Veillée et Hervé prépare une version condensée des danses qu’ils ont travaillées pendant ces deux semaines pour créer une séquence dansée au milieu de la Veillée. On essaiera de ne pas finir trop tard ce soir, parce qu’on est bien fatigué. On veut être en forme pour bien attaquer ces deux derniers jours de mise en place du film spectacle de la Veillée
Centre national des Arts du Cirque de Châlons en Champagne
Matin à la Marnaise, à Châlons/ 6
Rencontre avec les détenus de la Maison d’arrêt
C’est difficile d’écrire ce soir. On est chargé d’émotions. On a passé une après-midi incroyable. Un peu avant 13h, on s’est retrouvé à la Marnaise pour charger les instruments de musique et la roue Cyr, démantelée en trois bouts. A 13h et des poussières, nous étions tous devant la porte d’entrée de la Maison d’arrêt. Madame Lopez nous y attendait. Quelques personnes venues pour le parloir sont entrées en premier. Puis, au compte-goutte, par petits groupes, nous sommes entrés nous aussi à l’intérieur.
13h30. Sas, portes, portiques, détecteurs rythment le trajet de la porte d’entrée jusqu’au gymnase. Il faut faire vite, bientôt des mouvements auront lieu dans la prison, des allées et venues de détenus, et il faut que nous regagnions rapidement le gymnase. Là, le professeur de sport a installé des chaises en plastique. Les circassiens prennent l’espace, s’échauffent et s’installent. 14h10. Petite répétition de la chorégraphie collective, à peine le temps de remonter la roue Cyr, et déjà les premiers détenus hommes arrivent. Ce sont ceux de la 1ère division. Ceux de la 2ème division vont suivre, quelques minutes plus tard. 14h20. Le public est là. Une cinquantaine d’hommes, de tout âge, attentifs, présents. Tendus, généreux, audacieux, enthousiastes, les circassiens se lancent et jouent! Ils jouent de la musique. Ils jouent entre eux, ils dansent, se portent, jonglent, tournent dans la roue, lancent des regards au public, sourient, hésitent, se reprennent, et donnent toujours plus. A la fin de la présentation une discussion s’engage, c’est un beau moment, chaque groupe est face à face. Le groupe des circassiens, le groupe des détenus. Pas facile de savoir si on a touché ceux assis là-bas, tout au fond… Mais si! ça les a impressionnés, la souplesse, l’agilité. Les mots ne sortent pas facilement, mais les regards parlent. Un monsieur sourit et fait « bravo », avec la tête.
15h00. Les hommes regagnent leurs cellules. 15h15. Les femmes arrivent. Elles sont 20. On a changé la disposition des chaises pour qu’elles puissent s’asseoir en demi-cercle, et être ainsi plus proches de nous. La présentation commence. Rapidement, la musique entraîne tout le monde. Les femmes frappent des mains, rient, applaudissent. La frontière entre acteur et spectateur s’efface peu à peu. Tout s’échange et se partage, dans une grande énergie, d’écoute et de douceur. Les duos de danse, les portés acrobatiques, la roue Cyr s’emmêlent et se répondent, grand écho au désir profond de donner de soi, qui est là, palpable. 15h45. Fin de la présentation, début de la discussion. Les femmes nous disent: « On ne s’attendait pas à ça. On ne s’attendait pas à voir un vrai spectacle ». Elles nous disent aussi qu’elles ont oublié qu’elles étaient détenues. Pendant une petite demi-heure, parenthèse, échappée, évasion. Elles étaient « ailleurs ».
16h30. Retour au QG. On retrouve Guy et Martine. On leur raconte. On essaie de leur raconter. Les mots nous manquent. Alors on prend le temps d’échanger entre nous, de partager cette rencontre, de l’intérieur. C’est feutré, intime et sensible, ce moment ensemble au QG. C’est sincère. Didier nous rejoint et nous écoute. Il aurait aimé être là aujourd’hui mais il donnait une lecture, à Dunkerque. Des textes de Marie Desplechin, sur les saltimbanques. Alors les saltimbanques du CNAC lui racontent ce qu’ils ont vécu. Et le partage continue.
Il continuera demain, avec une matinée de rencontres, encore, au lycée Bayen, à l’IME.
Après-demain, avec une intervention à la maternelle rue Clovis Jacquiert.
Après-après-demain, à l’Entresort, pour les répétitions du spectacle, puis, à 19h, le film spectacle de cette « Veillée # CNAC » avec et pour les habitants, de Châlons en Champagne.
La silhouette de Juan dans son cercle
Ce matin…
Ce matin, on a monté le fil autonome pour que Quentin puisse prendre ses repères. Il travaillera avec ce fil à l’Entresort, vendredi soir, pour la « Veillée # CNAC ». Le fil autonome est « classe », chromé comme une bécane, avec un petit ressort argenté. On l’a déjà utilisé pour des « Veillées ». Le CNAC nous l’avait prêté.
Ce matin, le soleil revient. Un soleil d’hiver, aveuglant, rasant. Ce matin, Jonathan est le premier sous le chapiteau. Il s’étend sur un tapis en attendant Luis, qui le rejoint pour une séance de main à main. Ce matin, Ricardo a mal au corps mais son humour le tient debout, vaillant.
Ce matin, Hervé semble avoir été piqué par une étrange bestiole qui le rend volubile, phrasovore, acro du discours. Il joue. Il joue à parler pour ne rien dire, et les étudiants s’étirent, surpris par tant de rebondissements phonétiques. « Hervé? Hervé, ça va? » Oui, ça va! Et c’est parti dans l’énergie pour une matinée « filage » en vue de la présentation de l’après-midi, à la maison d’arrêt. En musique, s’il vous plait!
Ce matin, au QG, Jérémie travaille sur l’ordi. Il semble content. Il a mis son pull bleu et il écoute du jazz en montant les images tournées hier soir, by night. Et Martine monte monte monte les interviews, coupe, recoupe, écoute, écoute, écoute… Ce matin, on se dit que vendredi c’est après-après-demain, et qu’on a hâte déjà de retrouver toutes les personnes rencontrées à Châlons depuis notre arrivée…
Matin, à la Marnaise, à Châlons / 5
Jonglage lavage impromptu
La danse des grandes ombres sur le mur
Images de nuit, charivari et viennoiseries
La nuit tombe tôt, comme un couperet, et les lumières de la ville s’allument, en réponse. Nous, nous allumons les phares de nos voitures et nous partons à la chasse aux petits coins urbains, à la quête d’images nocturnes: grands espaces éclairés, zones industrielles délaissées, placettes, petites rues, perspectives évidées, et corps en mouvements, toujours, dans la limite du cadre.
A la lueur des phares, les circassiens ont dansé sur le parking du supermarché, Jérémie grimpé sur le camion pour filmer de haut. A la lueur des phares, ils ont jonglé à la station de lavage, ambiance verte et fluo, voitures de passages, sol détrempé. A la lueur des phares, ils ont steppé à la Préfecture, sur les rebords des murs, penchés en avant, en chantant, leurs ombres dansant derrière eux, projetées comme de grands masques africains étirés sur la façade du bâtiment.
Et sous le porche de la petite église, toute de guingois, près du manège endormi, ils ont sauté et gambadé en joyeux charivari, digne d’un mystère religieux ancestral, avec de l’humour dans les pattes, jusqu’au bout de la nuit. Merci à tous! Merci aussi à Philippe et à Michiko de la pâtisserie Leclaire qui nous ont donné des viennoiseries et de tartelettes, grignotées tout au long de la soirée avec bonheur!