avec Rania et Nathalie

Il faisait beau aujourd’hui au Banc Vert. On a fait le tour des rues, on nous a montré les différents blocs, ceux qui sont habités, ceux qui vont être détruits, ceux qui sont tout neufs mais pas bien pratiques. Ici, comme un peu partout, l’ANRU suit sa course, « ça coûte moins cher de détruire que de renover » nous dit-on. Le Banc Vert c’est aussi parfois le Querçy – ou Kercy, du nom d’un des anciens bâtiments qui a été détruit en 2008. C’est aussi plusieurs petits quartiers, des lieux dits qui s’entremêlent : il y a le RDM (la rue du Marais) et le RDF (la rue de la Ferme), il y la Fenaison et Gro Harlem. Le Banc Vert, c’est ce bout de Petite-Synthe : entre la rue de Cahors,  la rue qui porte le nom du quartier (celle qu’on prend pour arriver au collège Lucie Aubrac), l’avenue de la Villette (celles avec les concessionnaires autos, pas très loin du Lidl), et l’avenue de Petite-Synthe, la grosse avenue avec beaucoup de trafic, mais qui t’amène partout.

Au cœur du quartier, on passe de la résidence des Cévennes, à celle de la Dordogne, du Limousin, du Périgord, de la Gascogne, du Languedoc puis à celle de la Creuse et de Gambetta qui sont les deux prochaines à être « abattues ».

Entre les Cévennes et la Dordogne, Rania nous raconte les délogements-relogements suite aux plans d’urbanisation : l’histoire de ce monsieur qui habitait Gambetta qui ne voulait pas en partir parce que ça faisait 30 ans qu’il était là et que ces habitudes aussi étaient là. Il ne voulait pas partir tant qu’on ne lui proposait pas une maison dans le quartier : il n’a pas lâché et a emménagé rue du Cahors. « Il a bien fait ».

Entre le City-Park et l’école Paul Meurisse on rencontre une autre personne qui vit au Limousin depuis 35 ans. Ses parents y habitent encore, ses frères et soeurs aussi. Il en est parti puis est revenu s’y installer avec sa femme et ses enfants. Pour lui, les quartiers ça ne peut pas changer et ça ne changera jamais, parce que peu importe ce qu’il s’y passe. Son constat est dur. Pas un café, pas une boulangerie, pas une presse, par une tireuse, pas une épicerie.

Au pied des Ebènes, on croise une bande, intriguée. On leur raconte ce qu’on fait ici, Isabelle a droit à un poème. On se dit au revoir, on se recroisera.

Bonjour Dunkerque ! Le portrait des Familles # Banc Vert

Nous sommes arrivés ce matin dans le Collège Lucie Aubrac, qui se sera notre QG pour toute une semaine de résidence dans le quartier du Banc Vert à Dunkerque.
Le film-spectacle que sera fabriqué avec les habitants du Banc-Vert sera présenté samedi 11 septembre, à 16h et à 19h, à l’Auditorium Bizet.  Spectacle gratuit. À bientôt !

 

Se Re trouver

« Se lier aux autres, se lier au sens, se lier au Réel, se lier à l’oeuvre, l’éternité des liens comme seule vérité. » (Cynthia Fleury)

Danser Danser danser / les mots viendront plus tard / nous avons eu le temps de penser / d’être en colère / nous avons pris le temps de lutter contre l’isolement obligé / de faire front à la solitude / et au passé qui vous rattrape / Que d’efforts pour passer au présent / pour penser au présent / Voir les autres / retrouver le groupe / Danser danser danser / parler plus tard / Nous sommes là / toutes / autour des tables / Nous dansons !.

 

Le texte du jour

« Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit. Celui-ci voudrait souffrir en face du poêle, et celui-là croit qu’il guérirait à côté de la fenêtre.

Il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas, et cette question de déménagement en est une que je discute sans cesse avec mon âme.

« Dis-moi, mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu d’habiter Lisbonne ? Il doit y faire chaud, et tu t’y ragaillardirais comme un lézard. Cette ville est au bord de l’eau ; on dit qu’elle est bâtie en marbre, et que le peuple y a une telle haine du végétal, qu’il arrache tous les arbres. Voilà un paysage selon ton goût ; un paysage fait avec la lumière et le minéral, et le liquide pour les réfléchir ! »

Mon âme ne répond pas.

« Puisque tu aimes tant le repos, avec le spectacle du mouvement, veux-tu venir habiter la Hollande, cette terre béatifiante ? Peut-être te divertiras-tu dans cette contrée dont tu as souvent admiré l’image dans les musées. Que penserais-tu de Rotterdam, toi qui aimes les forêts de mâts, et les navires amarrés au pied des maisons ? »

Mon âme reste muette.

« Batavia te sourirait peut-être davantage ? Nous y trouverions d’ailleurs l’esprit de l’Europe marié à la beauté tropicale. »

Pas un mot. — Mon âme serait-elle morte ?

« En es-tu donc venue à ce point d’engourdissement que tu ne te plaises que dans ton mal ? S’il en est ainsi, fuyons vers les pays qui sont les analogies de la Mort. — Je tiens notre affaire, pauvre âme ! Nous ferons nos malles pour Tornéo. Allons plus loin encore, à l’extrême bout de la Baltique ; encore plus loin de la vie, si c’est possible ; installons-nous au pôle. Là le soleil ne frise qu’obliquement la terre, et les lentes alternatives de la lumière et de la nuit suppriment la variété et augmentent la monotonie, cette moitié du néant. Là, nous pourrons prendre de longs bains de ténèbres, cependant que, pour nous divertir, les aurores boréales nous enverront de temps en temps leurs gerbes roses, comme des reflets d’un feu d’artifice de l’Enfer ! »

Enfin, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie : « N’importe où ! N’importe où ! Pourvu que ce soit hors de ce monde ! »

Baudelaire, Petits poèmes en prose, 1861, « Anywhere out of the world », Pléiade, p.357

La discrète

La lumière est trop grande pour mon enfance.
Mais qui me donnera la réponse qui n’a jamais servie ?
Un mot qui me protège du vent, une petite vérité où m’asseoir
Et à partir de laquelle me vivre,
Une phrase seulement mienne, que j’embrasse chaque nuit,
Où je me reconnaisse, où je m’existe.

(Alejandra Pizarnik)

Aux femmes sur le fil

Les mots, quelquefois, se font jour difficilement, dans l’angoisse, et quelquefois se bousculent dans la fièvre. Ce qui s’entend dans de nombreux silences, ce qui se lit dans ce qui n’a pas été dit. Isolées par force et par nécessité. Exister par soi-même, cette nécessité d’isolement nous coupe des autres. Les autres sont là, les autres n’ont pas bougé, les autres sont à l’écoute. Nous avons toutes été obligées de nous isoler mais pas abandonnées. Il nous faudra du temps pour nous retrouver, Pour nous retrouver entre nous, Pour recommencer à vivre nos corps, le découvrir, le sentir, le toucher. Peut-être ? mais peut-être nous n’aurons rien oublié parce que cette communauté que nous avons construite lundi après lundi, ne vous a pas lâchées, lundi après lundi. Nous attendons le jour du retour, celui d’être à nouveau ensemble. Nous parlerons sans doute de ce temps suspendu, Ce qu’il a construit en chacune ou parfois l’impression d’avoir détruit. Mais ce temps n’est pas inutile, c’est un long temps, mais pas inutile. Un temps pour être à soi, un temps pour soi. Nous nous retrouverons, riches de cette absence, la danse et les mots nous emporteront, nous porteront.