Même pas morts

Elsa et Pierre ont racheté il y a trois ans l’ancien logement de fonction du directeur de l’école de la cité des provinces. Il était délabré, ils l’ont retapé. Elsa est secrétaire sociale, Pierre travaille dans l’administration. Pierre a toujours dit: À quarante ans, je changerai de vie. Il a grandi dans les cités minières, pas loin d’ici.

Si on passe leur portail, qui reste à dessein toujours ouvert, on tombe sur un terrain de bonne taille pour le moment encore boueux puisque les travaux ne sont pas tout à fait achevés: on peut d’abord apercevoir un gîte arrondi de bois clair, derrière lequel se dressent deux autres modules plus orthogonaux, avec des toits-terrasses. Tout au fond du jardin, Pierre a transformé en bain nordique une cuve à fromage: l‘idée, c’est de recycler. On est pas des écolos purs et durs. On fait notre tri sélectif. On est éco-responsables, ajoute Elsa. On a posé des toilettes sèches, on a isolé avec de la laine de mouton ou avec du coton qui vient de l’Emmaüs de Bruay-la-Buissière.
Ici, la terre a été martyrisée pendant un bon siècle, avec les industries, et on cherche une manière de s’excuser auprès de la nature, en quelques sortes – on essaye de pas faire pire, déjà.
Depuis toujours, Pierre voit le potentiel touristique de la région. Avant le Louvre, même, j’en parlais. La Cité des Provinces est classée au patrimoine mondial de l’humanité. Juste derrière, il y a la base 11/19, de l’autre côté il y a l’école, qui est également classée et au loin (en montant sur les toits des bungalows), on voit Vimy (qui a été rétrocédé aux Canadiens), Notre-Dame de Lorette, la grande nécropole – C’était la ligne de front, ici. Beaucoup de gens sont morts. Le soir, tout est éclairé.
Pierre est en formation pour devenir guide bénévole. Respecter l’humain, respecter la nature, proposer un lien à l’histoire du bassin minier, voilà l’idée. Une manière de continuer de faire vivre ceux qui ne sont plus là mais qui sont toujours là – dans ma famille, le dernier mineur est parti il y a quatre ans. Il a été reconnu à 100% silicosé une semaine avant de mourir, raconte Pierre

La cité des Provinces, c’était le dortoir de la mine. Les patrons s’occupaient de tout, de l’éducation, de l’hygiène, des soins médicaux, des activités hors du temps de travail. Mais en échange, t’avais pas intérêt à te rebeller, sinon t’étais viré du jour au lendemain, avec toute ta famille. Dans ma famille, y’en a qui sont allés en prison, après les grandes grèves. En 1929, quand il y a eu la crise, les arrières grand-parents de Pierre ont été envoyés en Croatie, pour travailler dans d’autres mines. Ils sont partis par la Belgique. Un enfant y est né, il était belge. Ils ont continué vers l’Italie, un enfant y est né, il était Italien. Ils sont arrivés en Croatie, un enfant y est né, il était croate. Puis ils sont revenus en France, un enfant y est né, il était français. Entre temps, il y avait eu la guerre, les frontières avaient changé, un de ces enfants était devenu (de ce fait) apatride. Il a dû s’engager dans la légion étrangère pour avoir une nationalité. C’était des histoires comme ça: cinq enfants, cinq nationalités. Les gens qui travaillaient à la mine venaient des fermes des environs parce qu’au début y’avait que des paysans, ici, mais ils venaient aussi de très loin, de Pologne, du Maghreb. On allait les chercher en train. Il y a quand même des choses qui se passent ici et qui ne se passent pas ailleurs. J’aime bien faire le parallèle avec le racing club de Lens. En 93, y’a eu la crise. Bon. on nous a dit, tout va fermer, ça va être foutu. Mais la région, elle est toujours debout. Le racing c’est pareil. J’en fais partie depuis que j’suis gamin et on était pas partis pour gagner. Mais quand on a gagné, dans les rues, c’était la folie! On a une image de looser mais finalement, on est toujours là. C’est ça, notre héritage, se battre, partager. Même pas morts, quoi. On nous dit C’est la crise. Mais la crise, on connait qu’ça, j’ai grandi dans la crise. Ici on est blindés pour la crise. Aujourd’hui, on parle d’avenir! Y’a tout à faire, tout! Notre fille, elle aura p’têt pas à chercher du boulot ailleurs. Elle pourrait avoir une belle vie dans la région. On parle là de l’économie, mais aussi des sentiments, des émotions, de tous les différents axes qu’on peut espérer dans une vie.
Il faut une génération pour relancer l’économie. Si les gens viennent, ça relancera l’activité. Si l’activité augmente, il y aura du travail. S’il y a du travail, il y aura plus de dynamisme. S’il y a plus de dynamisme, les gens viendront
– et la boucle est bouclée. On va aussi faire une petite boutique, là, sur le terrain. Si les gens de la cité ont des choses à vendre, je sais pas moi, des confitures faites maison, des bijoux, ils pourront les déposer ici.

Dernièrement, ce sont des gens de Carvin qui ont loué un gîte chez Pierre et Elsa. Mais si on pouvait comme ça faire se rencontrer des gens d’ici et des gens du bout du monde… vous imaginez, qu’ils se rencontrent chez nous, ce serait formidable! Et puis habiter dans la maison de l’ancien directeur de l’école… vous savez, le directeur, c’était quand même l’élite. Alors voilà, nous on est les enfants de prolos, de mineurs, dans la maison du directeur.

Sobrement

Ce dimanche après-midi, on enchaîne les porte à porte, pour les portraits chinois, les citations et les conversations filmées. Ce midi, on a joyeusement fêté l’anniversaire de Jérémie. On a cette habitude acquise depuis bien longtemps de souvent tous parler en même temps. Il est très rare qu’on puisse aller jusqu’au bout d’une phrase à moins de faire des phrases très courtes et de parler haut et fort. Mille sujets de conversations sont abordés en moins d’un heure et abandonnés au bout de quelques secondes, voire moins. Des éclats de rire fusent sans qu’on puisse comprendre la raison soudaine de ces effusions. Si on arrive en cours de conversation, on ne peut pas prendre le train en marche. Lancés à pleine vitesse, personne ne peut nous freiner. On va jusqu’au bout. On a follement fêté l’anniversaire de Jérémie.

Ouh là là

Hier soir chez Mme et M. Petit, un autre protocole, une nouvelle action artistique pour nos Portraits : Petites Formes. Jérémie et Guy ont essuyé les plâtres. Ce soir Martine et Didier présenteront leur petite forme au gîte qui se trouve derrière l’espace Louis Albert. Et on retrouvera toutes ces actions et bien d’autres encore qui auront lieu lors des parcours de ce vendredi 11 mars en début de soirée et ce samedi 12 mars dans l’après-midi, organisés avec la chaîne des terrils et l’office du tourisme de Lens -Liévin. Ces parcours seront ponctués de scénettes mises au point ces derniers jours par l’équipe d’Hvdz. Mourad et Marie (Angela) Bouts, qui nous a rejoints ce dimanche matin, se mêleront au parcours. Mourad va danser sur le city stade et Marie en collaboration avec Didier et Guy va dessiner sur les murs de la salle 1 de Culture Commune.

On a été reçu comme des rois dans la famille Petit et ce fut un grand plaisir d’inaugurer ici, cette nouvelle proposition. Cette nouvelle venue dans la liste des protocoles ; cette première fois, comme un premier rendez vous amoureux. Nous l’avons fêtée tard, jusqu’en fin de soirée. Vers 21h, on a rechargé le matériel dans le coffre de la ford mondéo break de Didier que nous avons déposé au Q.G, rue du Lyonnais.

En direct du QG.

Deuxième jour au QG, l’équipe des Veilleurs est au grand complet.

Marie S., dos au planning, présente les troupes à celles et ceux qui ne se connaissent pas encore.

Aujourd’hui c’est le porte à porte avec Marie S., Marie L., Marie B. (que l’on appellera à partir de maintenant Angela pour faciliter les choses), Mourad, Didier, Jérémie et Lucien. Pour les équipes, on met une Marie dans chaque duo et on tire au sort. Les groupes sont fait !

Aujourd’hui c’est aussi l’anniversaire de Jérémie.

Damien propose du café, tout le monde lève la main. On le boit et on y va.

On continuera le porte à porte cet après-midi, on espère donc vous croiser bientôt chers habitants, chères habitantes de la Cité des Provinces.