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Cet après midi, à la base, on a investit le plateau. Les techniciens de Culture Commune et d’ailleurs ont transformé en un rien de temps la salle d’expo de COAL, en salle de banquet, puis en salle de spectacle.
Donc on y est, pas de doute. On répète la séquence de texte en chorale. On règle les micros. On cherche, les entrées et sorties, la lumière, et tout. Ça approche à telle vitesse, la représentation de jeudi, qu’on se dit on est en retard. Qu’on se demande est-ce qu’on est en retard ?
Il y a de la matière, tellement de matière. Le film, les textes, les lecture et puis les textes appris, les interviews, les images, les paysages, les portraits, les rencontres et tout. Tellement de belles choses.

Des montagnes (les terrils) et des montages

On a fait un premier travail au plateau après avoir lu tous les textes avec tous les acteurs. Didier prépare les huit séries de textes qui vont jalonner le temps de la représentation. Martine travaille dur au montage de la veillée et du film avec Daniel. Jérémie invente ses films. Flora propose un montage d’images des discussion que les acteurs ont eu avec Philippe autour du scénario.  On prévoit de diffuser ces images dans le hall de la fabrique quand les gens arriveront. Sur une grande télé. Les gens pourraient prendre des casques mis à leur disposition pour écouter ce qui s’est dit sur l’envie de créer une fiction  inspirée d’une certaine retranscription du réel. Au cours de discussions collectives orchestrées par Philippe.

Ô Sublime Cathédrale

Hier, une visite exceptionnelle des lieux secrets du 11/19, organisée par Culture Commune et la Chaîne des Terrils. Jeremy et Flora en ont profité. Monter jusqu’en haut du 19. Découvrir pièce par pièce l’énorme machinerie, la machinerie titanesque. Il n’y a que quatre étages dans cette immense tour, mais c’est des étages irréguliers, certains petits et d’autres monumentaux. Quelqu’un a griffonné sur un mur de la salle de centrale électrique Ô Sublime Cathédrale. Les fenêtres en polycarbonate, avec leurs petites rayures, les stores métalliques, qui rayent aussi la lumière, font penser aux vitraux de l’abbaye de Conques, par le peintre Soulages. Oui, il y a un truc de l’ordre de la cathédrale. Quelque chose de sacré. La mémoire, le travail, le silence après le bruit.
La salle des machines, tout en haut, est un décor de film, avec cette sorte d’ordinateur géant, d’énorme machine, dans laquelle on peut rentrer. Un décor de film au point que c’est de la science fiction. Genre découverte d’une civilisation perdue, ou quelque chose après la catastrophe.
D’en haut, Jeremy et Flora ont vu la rue Saint Pierre, et toute petite, l’équipe qui tournait le film, devant la maison brûlée.

politiser le réel

Le week-end, c’est relâche. On sort de notre bulle, on revient au monde. On vaque à ses occupations quotidiennes, et de temps en temps, en un éclair on repense à une rencontre que l’on a faite durant ces deux semaines passées à Loos en Gohelle.
Heureusement que dans le Monde, tout va bien. Mr Bernard Madoff, ancien patron du Nasdaq, le marché des actions en Bourse aux Etats-Unis, vient d’être arrêté, coupable d’une fraude boursière estimée à cinquante milliards de dollars.
On pense, d’un seul coup, à ce monsieur, rencontré sur le Marché de Liévin, et qui avait accepté de poser devant la caméra avec une phrase, avec sa petite famille : Après avoir longuement choisi leurs phrases, ils posent, d’abord sa fille, si jolie, puis ensuite lui avec son petit garçon Mourad, ensemble.
Tout va bien comme en Grèce où les policiers font très bien leur travail. Un adolescent de quinze ans tué de trois balles par un policier et quelques nuits d’émeutes plus tard, il doit bien s’en mordre les doigts celui qui a fait çà, tout le pays à feu et à sang, et la colère qui enfle.
Et, d’un coup, par une bête association d’idée, on pense aux lycéens rencontrés lors d’une sortie essayage de texte devant Robespierre. D’abord il ne sont que deux, deux lycéens à qui nous demandons, dans le froid, alors qu’ils attendent le bus si ils acceptent d’écouter le texte que j’ai a leur dire. Poliment, ils acceptent, Jean-Christophe commence et tout à coup ils sont une quinzaine à sortir du lycée, à nous entourer, à nous demander ce qu’on fait, avec la caméra et ces textes. On reprend au début, ils font mine d’accepter, amusés à l’idée de poser devant la caméra, et peu à peu leur attitude un peu bravache se transforme en vraie écoute, ensuite on discute, ils parlent du lycée, du mouvement lycéen en train de naître, disent quelques mots sur leur envie que ça décolle aussi ici à Lens.
Et tout se mélange un peu comme ça, toutes ces belles rencontres, et le Monde qui continue à tourner.
Préparer la Veillée. Penser à cette phrase de Bertolt Brecht :
Celui qui lutte peut perdre, celui qui ne lutte pas a déjà perdu.
Poétiser le réel. Politiser le réel, aussi.

nous sommes une image du futur

Il y aura des traces. Comme dans le boue devant la base 11/19. Chaque pied y inscrit sa trajectoire, si insignifiante fût – elle. On n’y reviendra plus forcément, on oubliera peut – être un peu, mais il y aura des traces au plus profond.
Il y a des visages, de ceux qui ne nous marquent pas d’habitude parce qu’on ne s’y arrête pas.
Le visage d’une jolie jeune fille croisée sur la route alors qu’on rentrait d’une lecture.
Le visage de Bertha vu sur les images de la vidéo sans son, beau visage.
Le visage mi étonné mi goguenard des gamins du collège qui finissent par venir dire du Beckett et du Harms.
Il y a des détails, les lunettes et les bijoux de Berthe, impeccable. Berthe qui brille de bienveillance pour ceux qu’elle accueille chez elle, la Leffe bue chez Marie – France et Bernard, les cafés toujours prêts à l’EPAA et long à passer à la médiathèque, il y a le client de Paulo tout heureux de nous recroiser dans la rue, amical comme si on se connaissait depuis des années.
Il y a les mots, les histoires, enjolivées peut – être, mais la pudeur du populo, qui comme dit la maman de Sarah faut pas raconter les misères. Alors il y a les bonheurs, les fêtes, les ducasses, les enfants, les ptits bouts et les ptits peu : on était plus solidaires, on se parlait, on était 29 nationalités, on avait du travail, dur, mais du travail, les lever à 3h / 4h du matin, et la débrouille.
Il y a Jean – Kri, avec son petit sourire en coin qui questionne Nadia : alors c’était mieux avant ? elle a dit Je suis pour le droit à la paresse – mais le travail, comment dire ? – ça donnait une dignité…

On pense à la jeunesse grecque révoltée, trace d’espoir :

Nous sommes ici, nous sommes partout, nous sommes une image du futur

on est tous d'accord !

On est allé dans la galerie marchande de carrefour. Trois comédiens, trois micros qui disent les textes, devant l’enfilades des caisses. Le temps d’attente à la caisse devient un temps d’écoute.
Les textes sont militants, parlent de la précarité de l’emploi, de la sous-traitance, des nouvelles formes d’exploitation. Les textes parlent d’ici, des anecdotes d’ici, les mines, les activités associatives, et tout.
Une dame attrape le tract dans les mains de Flora et dit On est tous d’accord !
Un monsieur raconte qu’il est syndicaliste et puis communiste, et que c’est bien de dire ces textes là, justement ici.
Un autre monsieur qui attend devant la pharmacie dit Vous parlez des mines ? mon père était mineur, et moi aussi j’ai travaillé pour les houillères, ici et en Lorraine. Ma plus grosse descente, c’était là bas, en Lorraine, une des dernières mines, 1800m de fond.
Quand j’avais 10 ans, j’ai pu descendre au fond quelques fois. Mon père était chargé de l’entretien, des réparations, il travaillait quand les autres ne travaillaient pas, le dimanche, alors je prenais l’ascenseur, pour lui amener le journal, pour qu’il fasse son tiercé. J’ai eu cette chance, je sais que beaucoup d’enfants de mineurs n’ont jamais pu descendre, voir comment c’était, au fond.