Pour préparer le grand dessin de jeudi, Rémi, Angelina, Julien et Marie se souviennent de ce qu’ils ont vécu

Le premier jour, on ne se connaissait pas, ou presque pas.

Moi, j’étais en retard, dit Rémi en rigolant. Et puis être comme ça tous ensemble dans la salle Housiaux, c’était une marque de respect, comme si on ne nous avait pas considérés comme des élèves, mais comme des égaux. Vu la salle. Et Guy, qui offrait du café ou des spéculoos. Angélina et Julien appréhendaient, à cause des a priori que tout le monde a tout le temps. Genre j’te parle pas, toi, t’as une tête de garce. Pourquoi dire ça? Mais moi j’ai rencontré un ami, dit Julien. Maintenant, on est inséparables. Et puis la classe s’est renforcée. On est un bon groupe, non? Sans ça, on se serait même pas parlé. Rémi, lui, était OK: j’ai déjà fait du théâtre, il dit. Mais on nous avait mal présenté la résidence: on croyait tous qu’on allait devoir apprendre des textes et se répartir les rôles pour faire une pièce. On s’attendait pas à ça. C’est pour ça qu’il n’y avait pas grand monde.

Finalement on a appris plein de choses. À être autonomes avec une caméra, par exemple, et pas des caméras trop simples en plus. Ou bien à avoir moins peur de parler aux inconnus. Maintenant, je sais les maisons où je serai rejeté, dit Julien. Mais tu sais aussi celles où tu seras accueilli, non? Oui. Le vieux monsieur, par exemple, dans la première ou la deuxième maison là-bas au fond. Et puis ce qu’on nous a raconté sur le quartier, c’était important et intéressant. Comme on vit pas forcément ici. Maintenant, on en sait un peu plus. Moi j’ai pas appris à me servir de la caméra, dit Angelina, et je le regrette. J’aurais dû m’imposer. Mais ça, je ne sais jamais le faire, alors.

Et puis les exercices d’écriture. Au début c’était dur. Mais on se découvre les uns les autres, du coup, on peut entendre les voix de tout le monde. Quand c’est ton tour de parler par contre t’as pas envie. Et puis finalement tu te lances et t’as plus peur, y’a un déclic. Comme pour les interviews. Finalement, c’est plus facile de parler aux adultes qu’aux personnes du même âge que nous. Par contre votre blog, là, à HVDZ, il est assez mal organisé, on comprend pas qu’il y a des articles avant ceux de la page qui s’affiche. Vous devriez mettre des couleurs.

On peut parler de nos souvenirs du week-end, aussi? Parce que dimanche dernier, je suis allé voter, c’était la première fois.

Cet endroit

Laisse moi te parler de cet endroit.

C’est un rectangle d’herbe en face du lycée, un rectangle de gravier sous un porche avec des poteaux bleus. Juste à côté il y a des arbres en fleurs, des fleurs roses roses sur le ciel bleu en cette saison (ou bien sur le ciel blanc, quand il fait couvert). Les élèves y viennent entre les cours, avec des ballons, avec des cigarettes, avec des gants de boxe. Ils en repartent parfois tout chamboulants, au milieu d’un nuage de fumée. Cet endroit, c’est l’interlope. Cet endroit, c’est nécessaire. Cet endroit, on dit son nom très fort comme pour se vanter et on rigole en groupe. Y aller, c’est appartenir à. Appartenir à un groupe qui obéit à d’autres lois qu’à celles des cours.

Mais cet endroit, comment en parler? Il nous faudrait du temps, et puis trouver des mots, faire des métaphores et prendre du recul. Ne pas rester collés à la réalité pour mieux dire cette réalité. Réaliser un Dodès Kaden.