jeudi 10 octobre 2013, une belle journée !

On a fait tomber le mur au cours d’une impro. Comme si on le faisait tomber sur une femme qu’on avait assassinée. M. a entraîné C. dans une danse à bout de souffle pour la mettre en condition pour dire le texte d’Angélica Liddell. Puis C. a couru à perdre haleine en criant le début de la pièce sur Procol Arum  » What a shade of pape ». Dans une autre proposition une actrice a dansé violemment et de façon sporadique elle est allée au micro dire tout ce qu’elle reprochait à Angélica Liddell : ses angoisses, ses insomnies, les discussions à n’en plus finir…  Une actrice s’est costumée en Angélica Liddell, la ressemblance est frappante, elle a tenté de répondre à Dorothée et aux interprètes de la pièce avec calme et douceur mais parfois un peu de confusion. Une danseuse s’est lancée dans un beau solo, ses partenaires ont recouvert le sol de boulets de charbon. Le charbon a fait glisser la danseuse et l’a fait tomber. Elle s’est rattrapée comme elle pouvait pour aller, le souffle coupé, jusqu’au bout de sa danse. Tous les femmes en robe de mariée se sont installées sous le fil et M. a marché sur le fil au dessus d’elles. Puis tandis que quatre d’entre elles faisaient des portées aux épaules, les autres, en  robe de mariée, courraient dans tous les sens comme des enfants qui jouent, habillées en princesse. Ensuite elles ont parlé entre elles sur le charbon et M. a dit un extrait des Trois Soeurs au micro. Puis munies de pelles et de balais, elles ont ramassé le charbon, en robe de mariée, pour le ranger dans des grands bacs verts. Nadia et les deux hommes nous ont rejoints vers seize heures. Nadia a proposé de dire le récit d’une femme violentée au Mexique sur un ton très tranquille pendant que trois autres actrices  berçaient un enfant.  Sur un texte de rupture d’une relation amoureuse, deux acteurs se sont lancés dans un cops à corps violent où elle dit, qu’elle s’acroche à lui, non pas par amour, mais par mépris… d’elle même. On a terminé la journée par une dernière impro : les femmes en costumes noirs d’hommes dans des positions de toréros ont fait danser un homme en body-short qui a trébuché, s’est relève, a couru, dansé, s’est épuisé. Comme un taureau qu’on aurait mis à mort.

S’alléger

Répétition des danses comme tous les matins. Se préparer c’est aussi s’alléger, les pieds glissent sur le sol, les bras tourbillonnent, une danse des oiseaux, des cygnes, bien sur ! Avant d’affronter les matériaux durs : la brique, le charbon ,….et  le texte. Oui, le texte d’Angelica est un matériau dur. Chacun et chacune s’y cogne, fait comme il peut,les mots ,les paroles descendent à l’intérieur en déclenchant la tristesse, la douleur, la colère  plus rarement le rire. Angelica est une puncheuse, elle cogne. Ne jamais oublier que les mots sont des armes ! Traverser cette passe dangereuse, douloureuse pour réussir à trouver la violence poétique qui fera contre point avec la violence du réel. Un des enjeux de notre travail.

Le public et l’intime

A un moment, j’ai adopté la figure du résistant civil, en m’élevant contre la souffrance et les abus de la politique. Mais en même temps ça a entraîné une immense frustration chez moi. Prendre la parole au nom d’un émigrant qui s’est noyé, par exemple, ou au nom d’un enfant qui a été mutilé pendant la guerre, ça a suscité une énorme frustration chez moi, parce que j’ai vu qu’il y avait un fossé entre la parole et l’action. Qu’est-ce qui se passe entre l’oeuvre et la guerre? Qu’est-ce qui se passe entre l’oeuvre et la justice, et la faim? C’est cette frustration qui m’a amené par la suite à écrire “Belgrade” une pièce où je dis:  » Non on ne peut pas prendre la parole au nom des autres”. Je veux qu’on me tire les cheveux, je veux vivre ce que vivent ces gens, je veux ressentir pour savoir de quoi il s’agit. Je ne peux pas prendre la parole au nom d’un africain sur le point de mourir d’inanition en touchant les côtes d’Espagne après avoir traversé le Détroit de Gibraltar. Donc tout à coup j’avais cette volonté d’être sociale, d’être publique. En fait cet engagement politique, social, public, je l’ai quitté parce que je me suis dit : si je veux parler de ça, je vais parler de quoi, il ne me reste plus qu’à écrire des gros titres des journaux. Pour décrire la souffrance qu’entraîne chez l’homme la politique, il ne me reste plus que les gros titres. La parole ne me suffisait plus, j’en étais arrivée à un point de frustration. Les gros titres des journaux, il n’y avait plus qu’à les diffuser tels quels !

J’ai ressenti à ce moment là, la nécessité assez brutale d’être intime, c’est à dire d’abandonner cette partie de l’être public. Je ne voulais plus être dans le monde, je voulais être dans ma chambre et me retourner vers la poésie. Revenir à l’intimité, aux sentiments.  

A.Lidell, en interview

Milieu de première semaine

Ce matin, échauffement et danse. On a privilégié le travail sur la danse lente. Cet après midi, on a repris en demandant à chacun comment il envisagerait de décrire le spectacle à quelqu’un qui ne viendrait pas souvent au théâtre. L’exercice est difficile et on s’est beaucoup interrogé sur la façon de parler d’ un texte aussi radical et du travail d’Angelica Liddell en général. Puis on est revenu aux impros. On a fait principalement des impros collectives. Une première impro où toutes les filles étaient sur scène et les deux garçons énuméraient toutes les violences faites aux femmes décrites à la fin de la Maison de La Force dans la province du Chiuaha qui est le théâtre de la guerre entre trafiquants de drogues au Mexique. Les femmes sont les premières victimes de toutes les guerres. Une autre impro a consisté a décrire ce qui se passe dans les usines de Ciudad Juarez où les ouvrières souvent très jeunes sont agressées quotidiennement sur la route du travail, souvent avec le complicité de la police et des chauffeurs de bus. Les filles étaient assises le long d’une grande table et tombaient en arrière à tour de rôle. La dernière impro de la journée fut à nouveau collective. Munies de briques elles se sont regroupées pour former un choeur. Elles ont ensemble déclamer un texte de lutte.

De l’autre côté de la nef, Howard a travaillé à la composition d’un trio de danse.

Ce soir la fatigue s’est faite sentir. On a donc décidé de terminer un peu plus tôt. On a rejoint nos pénates en début de soirée. A Lille, à Tourcoing, à Lorgies, à Fresnicourt, à Bruay La Buissière ou à Bully les Mines. Demain on redémarre à 9h30.