annie ernaux

Le livre «les Armoires vides», c’est une écriture violente, une écriture de la dénonciation, qui ne convient pas pour parler de mon père.
D’où une réflexion, qui est politique: quelle est ma place à moi, écrivain venant du monde dominé, mais ayant la culture du monde dominant, et écrivant à des gens qui appartiennent plus ou moins à ce monde dominant? Comment puis-je écrire sans trahir à nouveau? Comment ne pas trahir à nouveau? Il fallait que je sorte d’une naïveté, d’une innocence politique de l’écriture. Et pas seulement sur le plan esthétique. C’est ça que j’ai voulu dire quand je parle d’«écriture plate». «Pour rendre compte d’une vie soumise à la nécessité, je n’ai pas le droit de prendre d’abord le parti de l’art.» C’est «d’abord», le mot important. Je suis confortée par Tchekhov: «Etre juste d’abord, le reste viendra de surcroît.» C’est une phrase magnifique.
Si je me mets à la place de l’enfant que j’ai été, je suis devenue quelqu’un que je n’aurais pas aimé du tout. Cette femme n’aurait pas été de mon monde. C’est très ambigu. Non, je n’aime pas, sans doute, au fond, la femme que je suis devenue, ou plutôt les femmes qui me ressemblent. Ça s’appelle le déchirement.
J’écoutais l’autre jour Robert Guédiguian, sur France Culture, avec son accent. Je trouve ça formidable qu’il ait gardé son accent, parce que, même si je n’ai pas fait exprès de le perdre, je n’ai pas du tout gardé mon accent normand. Il disait: «Toute la question, quand on se regarde dans la glace, c’est: est-ce que j’ai trahi l’enfant que j’étais?». J’ai trouvé ça très fort.

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