Mon oncle Henri avait appris le dictionnaire par cœur. Il était très silencieux. Il allait passer des heures sur le terril plat de Ferfay à la cité 3. Qu’on appelait aussi Cayenne. Ou les boyaux rouges parce que tout le monde était communiste. A la mine mon oncle Henri abattait deux fois plus de travail qu’un ouvrier normal. Il était très respecté au village. Comme mon père, il a refusé toute promotion par fidélité à ses engagements communistes. Il ne voulait pas trahir ses camarades. Tout le monde l’appelait Kiki. Il était allé à Paris à vélo. Tous les dimanches, il allait au terrain de foot voir jouer l’équipe de Ferfay. Les footballeurs n’étaient à l’époque que des gens de la cité 3. Les gens du village ne venaient pas à la cité. On se mélangeait pas.
Un jour, au lycée j’ai fait grève. Quand je suis rentré à la maison, je l’ai fièrement annoncé à mes parents. Je me suis fait tuer. Franchement je n’ai pas compris. Ils me disaient que les mineurs avaient des bonnes raisons de manifester mais pas quand on avait la chance d’aller à l’école. Puisqu’ils étaient communistes, j’étais sûr qu’ils me donneraient raison… Maintenant, je me dis que ce qui comptait le plus pour eux était que je mette toutes les chances de mon côté pour quitter au plus vite les corons. Et que pour ça il ne fallait pas faire la grève à l’école. Pour ne pas se faire mal voir. Se faire remarquer. Ou bien même me faire virer. Et qu’on nous supprime la bourse des mines. Si je me faisais virer on ne m’aurait repris nulle part. Parce qu’ils étaient communistes. C’est ça qu’ils craignaient. C’est ça qui a déclenché leur colère.