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J’aime bien l’idée qu’on réalise des portraits (de villages, de quartiers, de villes ou d’un collège et d’un lycée). Comme un désir de réalité absolue, une volonté de capturer la vie. Mais ce qui est beau c’est qu’on sait qu’à chaque fois, on pourrait dire que ce sont des ratages. (On part au bout de quinze jours à trois semaines de résidence parce qu’on sait (on le dit toujours, qu’on n’arrivera pas à tout dire) qu’on n’ arrivera jamais jusqu’au bout. Parce qu’on a commencé quelque chose et que bientôt on ne sait plus quoi en faire. Parce que la réalité (la vie) nous échappe. Tu peux recommencer chaque jour le portrait de quelqu’un, tu ne le rendras pas pour autant immortel. Il va vieillir, il va changer, il ne sera jamais lui. Il y a un très beau passage dans le film de Godard, Vivre sa vie, qui provient d’un texte d’ Edgar Allan Poe: c’est quelqu’un qui fait le portrait de sa femme, et, plus il met du rouge et plus sa femme devient blanche, et lorsqu’il a fini, qu’il regarde le tableau, il se dit « c’est la vie même » et sa femme est morte. Tu ne peux rien conserver mais il y a le désir de déjouer ça. Essayer de le faire tout en sachant que c’est impossible. Et il est certain que tout le travail d’archivage qu’on a entamé ces dernières années, cette volonté de garder trace de tout (veillées, instantanés, portraits, inventaires, retour sur, journal de bord, blog), traduit un désir de ce genre. Un désir d’arrêter la mort.

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