didier éribon

On ne reformule donc pas ce qu’on est à partir de rien: on accomplit un travail lent et patient pour façonner son identité à partir de celle qui nous a été imposée par l’ordre social. C’est pourquoi on ne s’affranchit jamais de l’injure, ni de la honte. D’autant que le monde nous lance à chaque instant des rappels à l’ordre, qui réactivent les sentiments qu’on aimerait oublier, qu’on croit parfois avoir oubliés…. Chacun de nous le sait qui l’éprouve dans les situations les plus banales, où l’on se trouve frappé et meurtri  sans s’y attendre, alors qu’on pensait être immunisé… On chemine toujours en équilibre incertain entre la signification blessante du mot d’injure et la réappropriation orgueilleuse de celui-ci. On est jamais libre ou libéré. On s’émancipe plus ou moins du poids que l’ordre social et sa force assujettissante font peser sur tous à chaque instant… La transformation de soi ne s’opère jamais sans intégrer les traces du passé, tout simplement parce que c’est le monde dans lequel on a été socialisé et qu’il reste dans une très large mesure présent en nous aussi bien qu’autour de nous dans le monde que l’on vit. Notre passé est encore notre présent. Par conséquent, on se reformule, on se recrée (comme une tâche à reprendre indéfiniment), mais on ne se formule pas, on ne se crée pas. Didier Eribon

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