On lâche rien

Ça y est on a terminé les interviews
des jours intenses, ces jours où on est là – entièrement
Dans nos têtes sont ancrées les paroles les regards
Ce qu’on a vu
Ce qu’on a vécu

Il y a quelque chose là, dans les murs, dans la ville, dans les endroits dans lesquels on entre, les trottoirs qu’on arpente, les portes auxquelles on sonne
quelque chose qui résonne
Ici c’est la merde nous a dit quelqu’un
Mon quartier si c’était une chanson, ça serait les portes du pénitencier a dit un autre
Oui on va pas se mentir c’est pas tout le temps facile
et pourtant ici il y a beaucoup de sourires
Ici on regarde les choses en face
On regarde les gens dans les yeux
Ici on part pas
On s’accroche
Ici on lâche rien
Ici on peut pas lâcher
Ici
ici il y a celle qui a osé pousser la porte du local et c’était difficile la première fois et puis elle est restée
il y a celle qui n’arrivait plus à manger parce que c’était trop dur la solitude, et qui a remonté la pente, lentement
Il y a des gens qui font avec rien et c’est pas normal, en vrai c’est pas normal
Il y a celle qui a arrêté de travailler parce qu’elle préfère aider les autres, et si c’est pas reconnu eh bien tant pis
Il y a celui dont les parents voulaient qu’il fasse autre chose et il a repris l’activité même si c’était difficile
Il y a celle qui te dit que ce soir elle aimerait rentrer tôt mais en fait on parle encore ensemble sur le pas de porte parce que c’est passionnant, et qu’il y a tellement à apprendre
Et elle, qui te dit que bien sûr elle a aussi ses problèmes, que bien sûr elle ne compte pas ses heures mais que le soir elle dort bien, la conscience est tranquille et le corps fatigué
Il y a celles et ceux qui font les permanences, les dossiers, l’accueil, ça leur prend du temps mais ils ne s’imaginent pas ailleurs
et ils te disent faire autre chose pourquoi faire puisque c’est ici qu’il faut être

Il y a celles là, ceux là qui sont d’une justesse pas possible dans leur gestes leur regards leurs mots, qui te donnent des frissons rien qu’à les écouter
Et on aurait envie que tout le monde les connaisse, que tout le monde les entende parce qu’ils disent qu’il faut garder le sourire, et c’est pas une posture, parce qu’ils et elles l’ont, le sourire

Ceux là et celles là – en vrai c’est vous qui la tenez, la société qui se fissure de tout côté
C’est vous qui lâchez rien
c’est pas normal mais c’est comme ça

On lâche rien
On peut pas lâcher

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