ligne de faille

Aujourd’hui on est allés à la MAS et même si on y déjeune tous les jours, on en est sortis pas tout à fait comme on y était entrés.
Sandrine m’accompagne à travers les différentes unités et me présente chaque résident. On pousse les tables et les chaises , on coupe le son de la télé et je danse. Quand on sillonne la MAS, la chorégraphie est aussi dans les couloirs. Un petit groupe me suit. C’est tout un art de négocier les tournants, les croisements, les ouvertures et fermetures de porte. A chaque déplacement dans un nouveau pôle, Ronan, Florian, Catherine, Laura me guident, je n’ai qu’à les suivre, dans ces méandres labyrinthiques de la MAS.
On est face à face, tout près, je peux voir les yeux, les corps, les fauteuils. J’entends des mots, des rires, des sons. Je suis touchée d’être accueillie si gentiment. Pascal me prend dans ses bras et je suis bouleversée.
Et ce n’est pas seulement parce que Pascal me prend dans ses bras que je suis bouleversée. Je suis bouleversée parce que je pense aux parents, à la difficulté que ce doit être de confier son enfant à une institution aussi adaptée soit elle, parce qu’on ne peut pas, parce que cʼ’est trop difficile. Je suis bouleversée parce que je pense à l’ʼinvisibilité du handicap, aux peu dʼ’endroits vraiment aménagés pour. Je suis bouleversée parce je me dis qu’il faudrait un accompagnant par résident et qu’évidemment ce n’est pas réalisable. Je suis bouleversée parce que je reçois de lʼ’émotion sans filtre, du ressenti brut et même si je m’y étais préparée, j’ai envie de pleurer. Je suis bouleversée parce que je me dis que si Laura, Cathy ou Salvadore avaient rédigé ces lignes, ils nʼ’écriraient pas du tout les choses comme ça. Je suis bouleversée parce que je ne vis pas l’état de dépendance et je ne sais pas les montagnes de courage qu’il faut  pour lʼ’accepter. Je suis bouleversée car je pense à la réaction d’Audrey Hénocque, adjointe au maire de Lyon, et en situation de handicap qui, suite aux propos choquants de Mme Blanc, rappelle que des propos injurieux “relève de l’oppression envers les personnes handicapées” et sont qualifiées de « validisme”, elle poursuit son allocution en disant “la société est composée dʼ’hommes et de femmes avec leurs atouts ou leurs différences et difficultés ». Elle rappelle la définition de l’ONU : « le handicap est la conjonction de trois facteurs, une déficience mêlée à une non accessibilité de la société, mêlée à des difficultés d’accessibilité”. Analysant a postériori sa réaction, elle précise : “comment parler au nom de millions de personnes discriminées en quelques mots pour expliquer qu’au delà des propos inacceptables de Mme Blanc à l’encontre des personnes handicapées cʼ est tout un système de domination habillé dʼ’intentions charitables (donc difficilement critiquables) qu’il faut dénoncer”.
Quand je sors de la Mas j’ai chaud, j’ai dansé pendant presque deux heures, je n’ai pas vu le temps passer, et je ne suis plus tout à fait la même qu’après y être entrée.
Je suis bouleversée parce que certains résidents de la MAS viennent dimanche et je n’ai pas envie qu’ils soient déçus.

2 réflexions au sujet de « ligne de faille »

  1. C’est super. Une aventure fantastique. On aimerait que ça dure. On est avec vous dans les couloirs de la MAS. On imagine la surprise, les regards, les croisements de regards, les mots échangés, les gestes qui découpent l’espace et nous transcendent. Les mouvements qui brassent les distances, vous rapprochent et mêlent les sentiments, les émotions, l’admiration. On voudrait être deux jours en arrière pour revenir sur ces instants qu’on voudrait voir se répéter à l’infini.

  2. C’est tellement exactement ça….. magnifique texte qui dit si bien ce qu’on ressent dans ces actions à fleur de peau…. comme la tour à Bourges…. qui était habitée par les » traces « des gens déplacés…

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