Kafka à Cayenne

C’est le gros bordel dans la tête. Comme souvent. Il faut trouver des ouvertures. Des échappatoires.

Si t’étais encore à l’école primaire, ton instituteur-tortionnaire t’aurais remis dans le droit chemin et plus vite que ça. Tu te souviens de cet instituteur ? – C’était Cayenne. D’ailleurs c’était le surnom qu’on donnait à la cité que tu habitais. Cayenne, tu te souviens ? Au début, tu n’y faisais pas attention. Parce que tu t’en moquais. Tu ne savais pas ce que ça représentait. C’est bien après que tu as lu dans le regard des autres qu’on disait Cayenne parce que cette cité faisait peur. Après tu portes ça comme un boulet (c’est la cas de le dire). Même si maintenant t’es loin de tout ça, ça t’aide tout de même à mieux comprendre ce qui t’as construit. Cet instituteur abruti et démoniaque nous menait à la schlag. C’était une horreur, ce grand échalas dans sa blouse  grise. Il te demandait de venir au tableau dire ta récitation et il t’interrompait en disant aux autres que tu ne saurais pas reprendre. Et c’est ce qui t’arrivait. Tu restais planté sur l’estrade, piteux, honteux. Il te laissait comme ça jusqu’à ce que tu pleures. Il te renvoyait à ta place d’un grand coup de pied dans les fesses. Pourtant dans Cayenne, il était adulé comme un faiseur de réussites, un faiseur de miracles. Il savait, mieux que quiconque (disaient les gens de Cayenne), (ré)éduquer les petits et violents bons à rien que nous étions. C’est le syndrome de Stockholm. On aimait nos geôliers. On vivait à Cayenne comme des gens exclus, des rebuts de la société capitaliste. Tu comprenais bien les coups  que tu prenais puisque tu ne méritais rien d’autre. Et surtout pas d’avoir un si bon instituteur qui perdait son temps avec toi. Alors, si possible il faisait tout pour te transformer en ce tu étais vraiment pour lui : une blatte. Et pour ça, quand il a quitté Cayenne, tes parents t’ont envoyé lui porter un cadeau. Un service en verre bleuté pour prendre le café. Une offrande.

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