De André Markowicz (compte Facebook)

Hier, à 07:10

Le parapluie

Bon, la France a gagné — je ne vais pas dire « nous », parce que, vraiment, nous, je veux dire, « on » a juste regardé. Mais, je ne sais pas, même si ce n’est sans doute pas poli de le dire, moi, j’étais content que la France gagne, d’abord, parce que, même si c’est devenu un lieu commun, mais enfin, quand même, ils sont de toutes les couleurs et de toutes les origines, et que, oui, quoi qu’on dise, ça fait plaisir, et puis, ça m’aurait fait de la peine que la Croatie gagne, parce qu’il y avait cet entraîneur croate, là, qui avait dit que la Croatie allait jouer contre l’Afrique, en fait, et qu’il y avait d’autres joueurs qui avaient souhaité mettre le feu à Belgrade ou des choses comme ça. — Et puis, je ne sais pas, je me dis que ça nous fait du bien, à nous, de voir la France gagner.

Bon, en même temps, j’avais une crainte : je me disais, houlala, la liesse populaire, les klaxons, c’est une nuit d’insomnie garantie, — surtout en centre-ville. Mais, que voulez-vous, j’accepte de souffrir pour la patrie. Et total, fenêtres évidemment fermées, ça va, j’aurai même pu dormir.

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La grisaille s’étendait chez nous. Une grisaille entretenue par une politique qui est d’une violence, j’ai l’impression, sans pareille, et qui me semble l’aboutissement à la fois du toutes les débandades hollandiennes et de toutes les rodomontades sarkoziques, une mise en coupe réglée de la société (et c’est très loin d’être terminé) qui se résume par une remise au privé de toutes les sphères de l’existence. — Et ce que je crains aussi, c’est que les Bleus n’aient assuré à notre président une victoire jusqu’aux européennes, et même au-delà. Je n’en sais rien, j’espère que non, — mais enfin, quoi, si le panem est fourni au mininum, là, au niveau circenses, il faut vraiment être un esprit chagrin pour être triste aujourd’hui.

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Je dois être un esprit chagrin.

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Theresa May aurait pu assister à la demi-finale, elle n’y est pas allée. — Emmanuel Macron avait promis qu’il y assisterait, histoire, sans doute, d’encourager nos troupes par cette honorifique perspective, — et il y est allé. Il a juste fait l’aller-retour à Pétersbourg. Il est revenu à Moscou. Il y a cette photo étonnante d’un président enthousiasmé, pris dans son geste après un but — un geste que, j’ai l’impression, la décence m’empêche de traduire, et qui est le geste de bien des supporters. Bon. Avant, il avait eu une conversation politique avec Poutine.

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Il y a eu l’orage. Et nous avons vu cette image stupéfiante du parapluie qui s’ouvrait tout de suite au-dessus de la tête de Poutine (Poutine et Macron ne se regardaient pas), alors que le président français et la présidente croate (qui m’a eu l’air très sympathique, ma foi — comme quoi, les préjugés… mais je ne la connais pas), restaient trempés comme des soupes, stoïques à embrasser les joueurs les uns après les autres, et¬, au-dessus d’eux, le parapluie s’est ouvert bien plus tard. Ils ont eu le temps de goûter l’hospitalité russe, et de comprendre qui était le patron.

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Le président a-t-il obtenu la libération d’Oleg Sentsov ? Je n’ai pas l’impression. Mais Poutine ne va pas laisser mourir Sentsov, il le fait nourrir de force. — Non pas par des perfusions de glucose ou de je ne sais pas quoi, mais en lui faisant entrer sa soupe par le nez, ce qui est, on comprend bien, une torture incroyable. Nous venons d’apprendre cela par le journal « Moskovski Komsomolets », qui est un des très rares journaux où, de temps en temps, il passe encore une information réelle. L’administration de Poutine a aussitôt démenti, en disant que, justement, on lui donnait des vitamines, par voie intraveineuse. C’est-à-dire que non seulement Sentsov ne sera pas libéré, nous dit Poutine, mais plus l’opinion publique mondiale se ligue pour le faire libérer, plus il sera torturé.

Cette politique de la force cynique, sans la moindre trace de décence, sans la moindre considération de rien en dehors de la force, c’est ce que nous avons eu à l’œuvre avec le voyage de Trump en Grande-Bretagne, — pour dire aux Britanniques qu’ils n’étaient que des laquais, et dire aux Européens, à toute l’Europe, que c’était la même chose, tous, ils étaient des larbins, et ils ne payaient pas assez leur maître, — et l’OTAN a décidé d’augmenter les budgets militaires, Macron compris. Il y a cette confrontation avec ça : maintenant, les enfants, on a cessé de jouer. D’abord, tu te mets à genoux, ensuite tu dis merci, et on connait la suite.

Aujourd’hui, à Helsinski, il y a la rencontre en tête à tête, sans aucune délégation, de ces deux forces brutes, Trump et Poutine — le dernier ayant mis le premier en place, en truquant les élections américaines.

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Le match à un moment, vous vous souvenez, a été interrompu par des gens qui se sont mis à courir sur la pelouse. Ça aura duré deux minutes, cette interruption (ce qui est gigantesque) : on a appris que c’était une action des Pussy Riot, pour protester contre la politique de Poutine, et pour soutenir Sentsov. Des membres de Pussy Riot — des héroïnes, il n’y a pas d’autre mot, — déguisées en policiers, ont fait irruption sur la pelouse, pour demander qu’on le libère — mais pas que ça, vous verrez leur page FB en anglais. — Elles ont été arrêtées, ça va de soi, et, au moment où j’écris, je ne sais pas où elles sont.

C’est à nous tous qu’il nous faudrait un parapluie.

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