« Au revoir président »

Lucien, Serge et Xavier sont arrivés à 13h20 au service nettoyage. En retard. Nous étions attendu à midi et demi. Il y a parfois des informations qui se transforment d’interlocuteurs en interlocuteurs, qui se terminent par une duplication de ces informations. Sur notre planning il est écrit 13h30, sur le leur 12h30. C’est ainsi.

Mais les personnes savent nous accueillir et on nous dit que ce n’est pas grave. Simplement l’interview destinée à un article dans ce blog sera un peu écourtée. La plupart ont commencé la journée à 6 heures du matin, nous finirons donc la rencontre à 14h pétantes. Le point horaire étant bien arrangé pour tout le monde nous commençons la discussion.

« C’est quoi le service nettoyage ? C’est différent des ASH ? – En fait c’est du ménage, c’est pareil. » nous répond-on en riant. Ce n’est en fait pas tout à fait vrai. Le service nettoyage se charge des locaux techniques (cuisines, gardien, maintenance, etc.), quand les ASH s’occupent des pavillons des patients. Mais on appelle aussi le service nettoyage pour les plus gros dégâts dans certaines chambres ou pour préparer l’arrivée d’un nouveau patient. Il y a des machines, certes, mais surtout de l’huile de coude.

Ils et elles ont unanimes pour dire qu’on ne choisit pas le service nettoyage par choix, mais parce qu’il faut travailler, et comme il n’y a pas beaucoup de travail aux alentours, ils se retrouvent ici. Il y a deux équipes : celle de 6h-14h et celle de 9h-17h. Ce n’est pas que les journées sont longues, mais parfois la fatigue ou la routine fait qu’on attend avec impatience l’heure de fin.

On reparle de l’immensité du site : nous arrivons à présent à une estimation de 92 hectares, 6 kilomètres de clôture, et 13 kilomètres de marche pour faire le tour complet. Ainsi, l’équipe nettoyage dispose de deux camions et une voiture attitrés pour les pavillons les plus éloignés. Cet espace est une bonne chose pour les patients. C’est un endroit chaleureux. Il y a des ânes (voisins du local du service nettoyage), des moutons, des chèvres. Les vaches, que l’on retrouvait parfois au milieu de la route (on en rit encore), sont parties. Depuis le site, on a une vue magnifique sur le paysage alentour. Surplombant la vallée, on peut voir le soleil de son lever à son coucher et en contrebas la Tour Guinguette, vestige du Château d’Estampes.

Pour ce qui est d’Estampes, le groupe se partage entre Estampois.e.s qui n’aiment pas cette ville (ville-dortoir, sans activité pour les jeunes et au RER pas très fiable) et Estampois.e.s qui s’y sentent très bien. Celle qui est en est parti pour le 26 sacrifierait bien un vœu pour y revenir. Les gens sont tellement moins racistes à Estampes.

Et puis on revient à des considérations plus pessimistes. Quelque chose ne va plus dans le travail : il y a un problème de mentalités qui s’est installé ici. Le plus ancien nous raconte qu’avant il y avait une plus grande convivialité (on se connaissait toujours au moins de vue, on se tutoyait, on partageait un repas de Noël et un repas de Réveillon, le jour de Noël on servait le petit-déjeuner des patients au lit, etc.) alors qu’aujourd’hui tout change trop vite, et pas dans le bon sens. Il y a plusieurs raisons mais la principale est peut être la « technicisation » du travail administratif. Avant, on commençait au bas de l’échelle et petit à petit, on avait de plus en plus de responsabilités tout en transmettant le métier et lorsque l’on dirigeait cela n’empechait pas de mettre encore la main à la pâte si nécessaire. Aujourd’hui, ce sont des personnes qui se forment directement à la logistique par exemple et qui sont des gestionnaires. Le lien se coupe et on ressent à l’équipe nettoyage une sorte de déshumanisation : des rapports, de la reconnaissance. Et puis le contexte politique effraye un peu : depuis le regroupement des hôpitaux les salaires ont baissé, les RTT qui représentent 4 semaines de congés sont remises en question (« Travailler plus pour gagner moins »), et ce débat sur les fonctionnaires sur qui tout le monde frappent rend ironique : « enlevez les fonctionnaires de notre équipe, et on verra bien qui se chargera du ménage ! ».

Avec une baguette magique alors ? On reviendrait vivre à Estampes pour l’une, on changerait la mentalité pour une autre ou on gagnerait à l’Euromillion pour être en costume de poussin jaune et chanter « Au revoir président ».

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