Dans Libé, l’Amer Monte

Dans l’ombre d’une Le Pen aux ambitions nationales, ce cadre implanté dans le Nord pourrait prendre les rênes de la région en cas de victoire.

Diriger une grande région tout en menant une campagne présidentielle : telle est la gageure qui attend peut-être Marine Le Pen, tête de liste du FN en Nord-Pas-de-Calais – Picardie et favorite des sondages. Régulièrement interrogée à ce sujet, la candidate frontiste a une réponse toute prête : «L’équipe que je mettrai en place mettra en œuvre elle-même le projet du Front national et impulsera une orientation radicalement différente à la région», expliquait-elle en juin sur i-Télé. Selon toute vraisemblance, le pilier de cette équipe sera Philippe Eymery. Ce Dunkerquois de 63 ans est bien placé pour devenir premier vice-président de la région en cas de victoire frontiste.

Inconnu du grand public hors du Nord-Pas-de-Calais, Eymery est un cadre expérimenté, dont la première élection au conseil régional remonte à 1986. «C’est le meilleur élu de France, claironne Bruno Bilde, directeur de campagne de Marine Le Pen. Il est amoureux de sa région et connaît ses dossiers sur le bout des doigts.» Au conseil régional, l’homme est déjà le principal collaborateur de Marine Le Pen. «Vu la faible présence de celle-ci, c’est lui qui abat tout le travail, juge Sandrine Rousseau, élue EE-LV et tête de liste de son parti pour les régionales. Sans se faire remarquer, il épluche la moindre ligne des dossiers.» L’écologiste évoque également «un type cultivé, porteur d’une idéologie plus structurée, mais aussi plus radicale que la moyenne de ses collègues. Il m’a un jour reproché mon « pseudo-humanisme » consistant à croire que « tout le monde est égal »».

Milieux néopaïens

Discret et méticuleux, Eymery «n’est pas un meneur, plutôt un trésorier d’association», juge un ancien camarade. L’homme est économe de son temps : il consent à accorder quinze minutes pour évoquer un parcours qui le voit, dès 1973, coller les affiches du FN à Paris. Fils d’un «artisan devenu entrepreneur» et d’une mère gaulliste, le jeune homme est alors étudiant à l’Essec. «Quand en 1968, des gens nous ont expliqué que le travail était une aliénation, je n’ai pas pu comprendre», explique-t-il. Ce n’est qu’au milieu des années 1980, ayant repris l’entreprise familiale de plâtrerie à Dunkerque, qu’il adhère formellement au Front national. Philippe Eymery entretient alors des affinités avec la Nouvelle Droite, mouvance qui cherche à refonder la pensée de son camp sur des bases anti-égalitaires. S’il reconnaît un «intérêt intellectuel» pour cette famille, plusieurs anciennes connaissances le décrivent comme proche, à l’époque, des milieux néopaïens. Aussi folklorique que radicale, cette chapelle suivra Bruno Mégret lors de la scission de 1999. Tel est aussi le choix d’Eymery : «Mégret voulait le pouvoir, pas Jean-Marie Le Pen, explique-t-il. Et moi aussi, je veux le pouvoir.» L’aventure mégrétiste tournera court : dans une note interne de 2002, le pointilleux Eymery dénonce la gestion calamiteuse du MNR, avant d’en claquer la porte. A l’époque, un autre mégrétiste, le futur maire de Hénin-Beaumont Steeve Briois, a déjà fait son retour au FN, où il s’est rapproché de Marine Le Pen.

Un climat dictatorial

Eymery, lui, trace son propre sillon sous l’étiquette indépendante le Défi dunkerquois : pas question de revenir dans un parti toujours dirigé par Jean-Marie Le Pen. En 2010, toutefois, il se rapproche à son tour de la fille de celui-ci, jusqu’à être élu sur sa liste régionale. Il reprend sa carte au FN l’année suivante, une fois le «Vieux» délogé de la présidence du parti. Dans l’affaire, Eymery retrouve un mandat, et Marine Le Pen un cadre sérieux et bien implanté : ce n’est pas si courant dans le FN d’alors, saigné à blanc par la scission, puis par ses désastreux résultats de 2007. Aujourd’hui, certains familiers d’Eymery décrivent un autre personnage : autoritaire, cassant, voire franchement «invivable» pour ses collaborateurs. «Il gère les militants comme des salariés, les sollicite à toute heure et se débarrasse d’eux quand il n’en a plus besoin», raconte un frontiste. «Il demande beaucoup, ne donne rien, est incapable de la moindre empathie», assure un autre, décrivant un climat «dictatorial». Selon un haut cadre frontiste, «Eymery aurait pu remplacer Marine si elle n’avait pas été candidate. Mais ce n’aurait pas été une solution idéale, car l’empathie et le charisme ne sont pas son truc». Plusieurs élus municipaux ont d’ailleurs claqué la porte du Front national en mettant en cause les méthodes du personnage.

«Dans mon secteur, le bâtiment, les délais sont serrés, se justifie l’intéressé. On me dit parfois qu’un parti ne se gère pas comme une entreprise. Je réponds que je suis là pour apporter des solutions, pas des problèmes. Il faut donc savoir trancher.» Le sujet n’en a pas moins inquiété la direction du mouvement. Patron de la fédération FN des Flandres maritimes, l’homme s’est d’ailleurs fait débarquer en douceur en août par la direction du parti. «Cela reste un très mauvais choix de vice-président, juge un cadre frontiste. Eymery est un type sectaire qui fera exploser son groupe.» Réponse d’un mariniste : «Ce n’est pas forcément un homme de compromis. Mais c’est justement ce qu’il nous faut».

Édition du 04/12/2015 : Philippe Eyemery a contacté Libération pour assurer avoir quitté de son plein gré la tête de la fédération FN des Flandres-Maritimes. Une source interne avait de son côté assuré que le dunkerquois a été «incité à passer la main» par sa hiérarchie.

Dominique Albertini Envoyé spécial à Lille

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