Souvenirs d’une semaine en vrac pour préparer le grand dessin de samedi

L’autoroute qui sépare les terres. Les talus, non fauchés, sur les anciens coteaux. Les rives du lac côté Sentinelle, côté Valenciennes (rétrocession), côté Trith. Base navale, usines. Les trottoirs : idem : sur plusieurs villes. La ZAC qui s’agrandit, s’agrandit, s’agrandit sans cesse. Les rond-points et les bouchons et les voitures qui roulent au pas pendant des heures. Cochez, à contrejour sur le ciel bleu. L’autoroute vers Lille, l’autoroute vers Paris, l’autoroute vers Bruxelles. Le raccordement auquel ils n’avaient pas pensé, le chantier qui reprend, les terrils qu’on a démoli pour façonner les remblais de l’autoroute, les chevalements qu’on a détruit, le passé qu’on veut vite oublier puis qu’on regrette et qu’on retrouve et qu’on appelle Patrimoine. Les champs et les corps de ferme qu’il faut imaginer à la place des routes et des voitures. Les anciens corons. Les corons en ligne avec les commodités et les jardins à l’arrière et puis tout au fond la pâture qui est construite maintenant, où vit Rita, d’ailleurs. Le coron carré, comme une cité jardin. L’église, un ancien puits-de-mine. Les dix-sept caméras de surveillance dans la rue. Les caméras de surveillance dans les bureaux, dans les écoles, à la cantine, à la maison des jeunes. Le bar du foot. La place des hêtres avec la ligne à haute-tension dans le jardin du voisin, lotissement Renaissance. Le jardin fleuri de Madame Dhaucy. Le jardin potager de Monsieur Dhaucy. Lui qui se promène dans son jardin tous les matins comme une prière. Les danses en ligne les restos du coeur le secours populaire il était une fois la sentinelle le club de sport : toutes les associations. Donner du sens au présent en retraversant l’histoire. Comment faire? Comment ne pas se figer dans le passé? Comment ne pas faire du patrimoine quelque chose de mort? Comment rester vivant? L’éducation, qu’il faut faire, même si on ne sait pas si elle va réussir. Au CHRS, ce jeune homme dont je ne connais pas le nom qui essaie plusieurs fois de se mettre en colère et qui rit, qui veut y arriver. Erika appuyée contre la vitre derrière la porte, silouhette silencieuse et bienveillante. Pendant ce temps, Mourad, appuyé, lui, contre l’horloge et Didier : à contrejour. Ahmad, dans sa toute petite maison, qui ne veut pas être filmé ni photographié mais qui finalement raconte toute son histoire à la caméra. Il vient de Ouarzazate, sa famille toute entière est là-bas, il à travaillé dans plein d’endroits en France avant de se retrouver sans travail, aujourd’hui. Jamais vu ça. Alors mieux vaut rentrer à Ouarzazate, il dit. Né le premier janvier mille neuf cent cinquante quatre. Puis, dans la lumière rasante du soleil doré, la promenade lente vers les chasses royales. Les gens, dehors. Le monsieur en vélo avec son potimarron sur le porte-bagage, les enfants en roller, les vieilles dames qui prennent le frais sur le pas de leur porte. Passer de La Sentinelle à Valenciennes et de Valenciennes à La Sentinelle sans s’en rendre compte. Dimanche matin. Le parking frais dans le soleil tout aussi frais, le groupe de chasseurs en treillis, en veston et chapeau fluorescents, les chiens qui se mettent en joie dès que l’on entre dans le champ de betteraves. Marcher en ligne. Écouter les chasseurs parler à leur chien et le bruit de l’appeau qui se réverbère dans l’air. À quoi ressemble la mort d’un faisan. Le faisan qui tombe à l’aplomp de son vol, son cou qui pend le long du corps, son corps qu’on fourre à l’arrière d’une veste, la veste qui laisse dépasser les plumes et les pattes mortes. La franche camaraderie. Apprendre des précisions techniques sur la chasse, combien de lièvres bruns, combien de perdrix grises, combien de tourterelles peut-on prélever. Dire prélever plutôt que tuer. Connaître l’angle de tir : cinq pas sur le côté trois pas vers l’avant. Les chiens, mouillés, haletants, le poids des fusils. Nos pantalons mouillés jusqu’aux cuisses. Passer le reste du jour à sonner aux portes comme si on enfilait les perles d’un collier, lentement. Portes fermées, portes ouvertes. Discussions dans un salon, dans un autre salon. Café, soda, chansons. Les enfants qui nous suivent et qui nous précèdent, qui nous disent : Là, vous ne trouverez personne. La maison sans entrée et de ce fait sans sortie. Cécile, sa joie et son histoire (elle aurait pu mourir là, dans sa maison, quand elle est tombée). Cécile vit seule, à 94 ans, continue de faire sa cuisine, ses affaires. Violette, qui a des soucis de santé elle aussi, mais qui trouve le bonheur dans une suite de choses simples. Le même monsieur en vélo, mais sans son potiron. Dimanche au soleil sur le pas de la porte.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.