Eribon, la société comme verdict (5)

Entrer dans une « profession », dans un milieu, c’est inévitablement adapter son corps et son esprit aux réquisits explicites ou tacites d’un univers qui a existé avant qu’on ne cherche à s’y faire une place et qui ne nous l’accorde qu’à cette condition, nous contraint à suivre les étapes successives d’un parcours fléché, à passer par les rites et les rituels, à s’imprégner des us et coutumes et devenir peu à peu celui qui exige des nouveaux entrants ce qu’on a exigé de lui quand il est entré.
Même ceux qui s’efforcent de résister autant que possible aux normes qui régissent l’appartenance à un milieu professionnel, à une corporation, à un métier…doivent d’abord et avant tout les avoir respectées jusqu’à un certain point pour pouvoir bénéficier des moyens d’expression sur lesquels il leur sera possible de prendre appui, et la docilité première-on ne peut pas vivre dans un milieu sans s’approprier ses modalités de fonctionnement, ne serait-ce que dans l’existence quotidienne et, par conséquent, être approprié par elles –est, peu ou prou, le support indispensable à toute indocilité. Mais on serait en droit d’attendre que, au moins, ceux qui se pensent comme constituant le « milieu culturel » ou le « milieu intellectuel », etc, n’abandonnent jamais le souci de rétivité, comme point d’honneur de ce qui définit ou devrait définir leur fonction sociale. Alors que le degré d’inféodation, la soif de pouvoir, la quête des honneurs les plus vains, l’opportunisme, le conformisme, le conservatisme, le psittacisme qui conduit à répéter la doxa pour être certain de se faire applaudir…toutes ces attitudes les plus contraires à ce dont devrait s’enorgueillir un intellectuel sont hélas celles qui prospèrent et dominent. Ceux que l’on est amené à rencontrer et à fréquenter dans ces parages sont souvent très loin de correspondre à l’image que l’on s’en était forgée, quand adolescent, étudiant, on rêvait de les côtoyer, d’être l’un d’eux ! Il en est de formidables, de merveilleux. Mais tant d’autres sont détestables (pour rester poli). Souvent, la déception est ruelle, et laisse un goût amer.

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