Vous êtes bonne conseillère, Toinette !

Je me sus rendu compte très tard que ma mère était complètement analphabète. Je me suis souvent étonné qu’elle  signe mes carnets de correspondances de son nom de jeune fille, qu’elle recopiait une dizaine de fois sur le bord d’un journal (Liberté, le journal de la région du parti communiste qui à l’époque paraissait quotidiennement. Pour mon père, la voix du nord était un journal de droite). J’avais eu droit à des remarques méprisantes au lycée sur la signature de ma mère, de la part du surveillant général ou de certains professeurs. Je devais avoir seize ou 17 ans, quand je me suis rendu compte que ma mère ne savait ni lire ni écrire. Elle avait toujours tout fait pour que je ne m’en rende pas compte. Elle feuilletait des soirées entières le catalogue de la Redoute, j’ai toujours pensé qu’elle savait lire. Quand on recevait du courrier à la maison, mon père en faisait la lecture à voix haute. J’ai toujours pensé que c’était normal. C’étaient des moments privilégiés. Mon père faisait la lecture à voix haute du courrier pour tout le monde. Pour ma mère comme pour moi. Quand je me suis rendu compte que ma mère était analphabète, idiot que je suis, j’en ai éprouvé de la honte. J’avais honte qu’elle en ait honte au point de me l’avoir caché pendant plus de quinze ans.  Ça a agi sur moi comme un déclencheur ! J’ai senti alors que plus j’avançais dans la vie et plus mon horizon s’épaississait. J’ai senti que tout allait être bien plus complexe, compliqué et ardu que je ne me l’étais imaginé. J’avais cru, comme on me l’avait dit et répété, qu’en travaillant bien à l’école, que ma vie était toute tracée. Mais c’est valable pour les dominants. Pour les dominés, c’est beaucoup plus complexe, plus abstrait parce que l’école ne te dit rien de tout ce micmac. Pis ! Elle te marque au fer rouge d’ un énorme complexe d’infériorité. Et tu devras te contenter des miettes ! Ce ne sera jamais ni ton monde, ni ta langue. La langue que je pratique aujourd’hui tous les jours, c’est la langue des dominants, la langue de l’ennemi.

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