Pays de malheur

Dans la Brique (spectacle où je me raccroche à une brique pour raconter ma propre histoire),  je voulais donner une image digne du bassin minier du Pas de Calais. Je me sens tellement proche d’un type comme Didier Eribon. Je voudrais ne jamais finir son livre, la société comme verdict. Tout est dedans. J’ai l’impression que c’est ma propre histoire, l’histoire des familles ouvrières (communistes ou pas) que ces trente dernières années, les partis de gauche ont idéologiquement abandonnées (il n’existerait plus de classes sociales, de luttes des classes) pour se rapprocher des populations plus aisées. En pratiquant une politique ultra libérale, ils ont sacrifié les populations ouvrières, qui au fil des années se sont senties de plus en plus méprisées, humiliées. Je m’en rends compte dans ma propre histoire, ça a donné au fil de deux ou trois générations pas mal de gens paumés, perdus, blessés. Impossible de se raccrocher à une explication valable qui collectivement mettent les gens en valeur et leur donne un nouvel espoir, une véritable estime de soi, de croire en ce qu’ils représentaient depuis des générations, la fierté ouvrière. On leur fait honte (notre histoire nous fait honte, on ne vaut plus rien, on n’est pas utile, on ne représente plus rien par rapport à tout ce qui nous a précédé, il nous reste la honte et le déshonneur) . La honte débouche sur la colère contre tout, contre soi même. Et on se tourne vers la facilité des facilités, la connerie suprême (comme un défi, vous nous faites honte, on vous fera honte), la recherche du bouc émissaire. Quand on voit ce qui se passe dans le bassin minier du Pas de Calais, ça n’est pas arrivé du jour au lendemain (les dernières mines ont fermé il y a plus de vingt ans). Partout où je joue la Brique dans la région, j’entends dire que des bastions de gauche, dans les villes minières et ailleurs, pourraient tomber aux mains des néo fascistes du Front National. Des bastions de gauche ou des villes gérées par la droite. A Hénin Beaumont, à Bruay Labuissière, à Calais… lors des derniers sondages, les gens osent dire qu’ils s’engageront auprès des néo fascistes, et les pourcentages dépassent bien souvent les quarante pour cent pour le Front National. Pays de malheur.

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