Didier Eribon, la société comme verdict

… Le fait pour un individu d’occuper tel poste, telle position, tel statut qui ne vont pas de soi pour lui, parce qu’il n’y était pas depuis toujours destiné, préparé, accordé, produit un effet très caractéristique de distance au rôle et une forme très particulière d’esprit critique dont l’expression se traduit par des comportements qui apparaissent déroutants aux yeux des autres occupants des mêmes fonctions. Et, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il est sans doute moins aisé de ne pas coïncider avec ce que l’on est – professionnellement, socialement, etc. – que d’y correspondre parfaitement. Comme si quelque chose d’un autre passé, perdurait dans la situation présente, et la rendait instable, et parfois intenable. On est déplacé, à tous les sens du terme.

Ce sont les mêmes processus qui expliquent aussi pourquoi, au même titre que les rêves adolescents ou la perception adolescente de soi qui perdure à tout jamais, il arrive souvent que les affects sociaux – tel trauma de la honte, qu’elle soit sociale ou sexuelle – gardent leur vivacité très longtemps après qu’elles se sont formés, et quand ils ont perdu toute raison d’être ou toute signification.Même lorsqu’on travaille consciemment à les déconstruire ou les abolir, ils semblent constamment réanimés par une loi de conservation de l’énergie psychosociale qui les rend lents à s’apaiser et encore plus lents à s’éteindre ...

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