Coquette et cocotte

Aujourd’hui, on est allé voir Madame Bernadas. Elle a quatre vingt six ans. Elle était blanchisseuse, dans le temps. Blanchisseuse depuis plusieurs générations : son père, ses grands mères, sa sœur… elle nous raconte chaque étape de la lessive, la longue lessive qui durait une semaine. Le lundi, à la file, des centaines de blanchisseuses allaient jusqu’à Bordeaux avec une charrette et un cheval, parfois une mule, parfois un âne, pour prendre le linge à laver et ramener le linge propre. On disait pas client, on disait pratique. On allait voir ses pratiques.
Elle nous a raconté tout ça et puis des anecdotes. L’histoire de l’âne de sa voisine blanchisseuse qui était tombé amoureux de la jument d’une autre blanchisseuse et qui voulait la suivre partout, dans sa tournée. Ce qui fait que la maîtresse de l’âne n’a jamais pu faire sa tournée à elle.
L’histoire du blanchisseur qui s’arrêtait à chaque fois boire un café dans un bistrot en allant faire sa tournée, et un jour qu’il a été remplacé par sa femme, le cheval l’a conduite jusqu’au bistrot et refusait de repartir. Et la pauvre femme qui ne comprenait pas. Et les habitués du bistrots qui sont venus lui expliquer : Y’ a qu’à attendre, après le café, il repartira. L’histoire de la jument Coquette qui avait mangé les fleurs et cassé les pots pendant qu’elle livrait son linge. Et la fois où cette même jument avait volé une banane à une marchande des quatre saisons, et puis l’avait épluchée et mangée.
Et l’autre jument, Cocotte, qui est partie à la guerre. Quand Mme Bernadas nous a dit cette histoire-là, on a eu le cœur serré. Un soldat est venu la chercher. Moi et ma sœur on pleurait. Et cocotte se retournait et nous regardait comme si elle demandait « je pars et vous ne me retenez pas ? ». Et puis cocotte est morte à la guerre.
Après, il a fallu se débrouiller. Il y a eu des voitures et des camions, des gens qui aidaient les dernières blanchisseuses qui tenaient encore le coup. Et puis en 75, Mme Bernadas a arrêté complètement, pour partir travailler à la clinique, jusqu’à la retraite. A la retraite, elle a voyagé, avec une amicale de Saint Médard où il y avait beaucoup d’anciennes blanchisseuses : les Baléares, l’Italie, l’Espagne, la Bulgarie, la Yougoslavie, l’Angleterre, l’Irlande, et tout.

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