« Le capitalisme artiste » ne fait pas le bonheur, Gilles Lipovetsky

Si le capitalisme détruit des emplois, défigure les paysages, pollue l’atmosphère, épuise les matières premières et brise parfois les individus, il est aussi le système qui produit et diffuse les biens esthétiques à très grande échelle. Cette dynamique a commencé à partir du 19 ème siècle. Nous sommes au stade hyperbolique de ce système marqué par l’inflation esthétique, plus un seul objet qui ne soit objet de design. Cette promotion du paradigme esthétique est l’enfant du capitalisme de consommation. D’où cet oxymore hypermoderne : le capitalisme artiste. Le capitalisme artiste est ce système qui incorpore de manière systématique la dimension créative et imaginaire dans les secteurs de la consommation marchande. Les mondes esthétiques ne sont plus des « petits mondes » à part, mais un secteur créateur de valeur économique de plus en plus sous tendu par des multinationales impliquant des intérêts financiers considérables .Un nouveau capitalisme est né qui a changé le sens de l’art. Hier encore c’était l’art pour l’art. Aujourd’ hui c’est le marché qui booste les mondes de l’art. Le capitalisme a créé un type d’art sans précédent : un art de consommation qui ne requiert aucune culture spécifique. Un art sans aucun idéal d’élévation qui se mêle aux marques, au sport, à la mode, au divertissement. Ce capitalisme artiste a créé un consommateur hédoniste –esthétique perpétuellement à l’affût de changements, de sensations qui peuvent compenser le stress ou apporter des plaisirs renouvelés. Nous sommes maintenant des drogués au « nouveau ». Le monde hypermoderne est désorienté, insécurisé, fragilisé. L’esthétisation et la marchandisation effrénée du monde promettent le bonheur mais, au final ,la joie de vivre ne progresse pas. L’hypertrophie consumériste ne rend pas plus heureux. Les jouissances esthétiques n’arrivent pas à éliminer le mal-être, le stress, la dégradation de l’estime de soi générés par les normes performantielles de l’entreprise. La société suresthétisée triomphe, mais l’harmonie dans nos vies reste introuvable. A l’époque de Hegel et de Marx, on pensait pouvoir déchiffrer les lignes du devenir humain. Aujourd’ hui, on est plus modeste. Il est cependant probable que, demain, le marché et la démocratie seront toujours aux commandes. En dépit des contraintes écologiques le capitalisme artiste a de beaux jours devant lui mais plus l’avenir marchand semble irrésistible, moins nous savons ce qu’il sera.

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