Bernard Battu, maître lissier à Aubusson (2)

J’ai tissé des oeuvres de nombre d’artistes peintres connus et aussi des peintures d’enfants. Pour travailler avec les artistes connus je passe de deux jours à plusieurs mois avec eux pour savoir qui ils sont. Pour savoir ce qu’ils veulent dire en tout. Vouloir devenir eux. J’approche à tatons. J’ avance une bougie à la main dans un tunnel. Mais il s’agit de tâtonner le plus juste possible et de travailler comme les comédiens le font. Prendre le costume des artistes, facétieux ou dramatiques. Etre des Schubert de la peinture ou de l’architecture et de la laine. Des écorchés vifs. Le côté douloureux de certains artistes, on se le prend sur le dos. On se le prend dans le coeur aussi. Parfois, ça dure au delà du tissage. Parfois ça me poursuit pendant des mois. Ça m’est arrivé avec les vitraux de Margelet. C’est des tissages qui laissent passer beaucoup de lumière et c’est des tissage en fil de fer. Il y a plus de vide que de plein et ça raconte… ça fait penser à la déportation, toutes les déportations. (Le peuple aubussonais, le peuple des Lissiers étaient souvent protestant et lors de la révocation de l’édit de Nantes a émigré en Allemangne . Pour la plupart à Nuremberg. Quelle ironie de l’histoire ! ) La métaphore de Jean Fourton le dit très bien , la déportation, c’est une sorte de soleil déraciné de son ciel. On sait que les déportés de la deuxième guerre mondiale vivait ça. On avait changé le soleil de place dans leur vie et  dans tout ce qu’ils vivaient…

J’essaye d’éponger le travail à cent cinq ou cent dix pour cent de ce qu’un artiste veut dire pour en restituer le plus possible dans ce que je dois tisser. Je travaille toujours en musique. Szimanovski et Irwin Shulhof, par exemple. Pour ce travail sur la déportation, ça m’avait amené un peu trop loin d’ailleurs… Après c’était difficile de faire marche arrière. C’est comme tomber au fond d’un puits et puis essayer de s’accrocher aux pierres pour remonter au bord de la margelle. Je ne l’avais jamais éprouvé avant aussi fort.

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