L’écheveau va à la bobine et la bobine va à la flûte

Entre le théâtre et le Q.G., il y a la manufacture Saint Jean.
De l’étage, une dame penche la tête et demande si vous venez pour la visite, Messieurs-dames. Alors je viens vous ouvrir. Ici il y a eu jusqu’à cinq-cent employés, avant, mais maintenant on est plus que quatre. Alors bien sûr quand il y a des grosses commandes, on embauche des gens, en interim. Jusqu’à il y a quelques années, on a eu des commandes d’Arabie Saoudite, puis ça s’est arrêté.
Dans d’immenses casiers de bois qui s’élèvent jusqu’au plafond, des écheveaux, des écheveaux de toutes les couleurs, des soies, des laines, classées par teintes, par nuances. Certaines ont jusqu’à cent ans, on les conserve pour la restauration des tapisseries anciennes, et oui, on doit retrouver les mêmes couleurs. On travaille avec l’oeil, ici, y’a pas d’numéro. L’oeil, c’est là tout l’essentiel du travail. Alors. Le peintre cartonnier, il fait son carton à l’échelle, et à l’envers, parce que le lissier travaille sur l’envers. Mais avant, il faut choisir les couleurs qui conviennent, et en faire un chapelet. On cherche les écheveaux dans le stock, et sur cette machine, là, on en fait des bobines. Des bobines, on fait ensuite les flûtes, et sur une flûte vous pouvez avoir plusieurs brins de soie ou d’laine, soit de la même couleur ou bien de couleurs différentes, tout dépend du carton. Les flûtes, là, on les fait avec cette machine. Ici, c’est un métier de haute-lice, pour faire les tapis de savonnerie. Et là, un métier de basse-lice, pour les tapisseries.
La chaîne, la trame, les marches, les velouteuses, le taillage, les mots charment et chantent autant que les couleurs et les outils. Aujourd’hui les ateliers sont vides, et il fait froid, il y a même peut-être des fuites d’eau au plafond, mais on imagine sans peine l’activité intense, le fourmillement de gestes précis, minutieux. Il faudrait que vous voyiez les fûts de bois au large diamètre dont on fait les métiers, l’étrange machine à faire les bobines, une sorte de roue de vélo, montée sur une planche, reliée à une manivelle. Et puis l’accumulation de pièces de bois, les navettes, les peignes en buis, les couleurs.
La visite continue dans l’annexe : on peut observer un lissier au travail, puis une dame qui restaure des tapisseries du XVIe siècle. Lui fait silencieusement passer le fil de trame sur tout ou partie de l’ouvrage ; elle raconte son travail avec un plaisir visible. Elle dit Je suis arrivée j’étais jeune, – j’ai tout appris sur le tas. Elle rit. Le travail de restauration se fait à l’aiguille. Selon la grossièreté du tissage et la richesse du client, on peut faire tel ou tel type de restauration. À la manufacture Saint-Jean, on a réalisé une tapisserie pour la Maison Blanche et une autre pour le Kremlin.

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