Le premier regard

Ce matin, nous étions rassemblés autour de l’écran de Martine comme autour d’un feu discret. Alexandre avait posé là son premier jet. Un premier souffle. Pas encore une forme définitive, mais déjà une matière vivante. Les images ont commencé à se succéder sans solennité. Des rires sont apparus sans prévenir. Des chants fragiles ont traversé l’espace. Des voix ordinaires, chargées pourtant d’une lumière étrange. Très vite, quelque chose s’est déplacé en nous, sans bruit.

Il y avait des yeux. Des yeux qui brillent sans le vouloir. Des regards qui se croisent presque par hasard, et qui pourtant se reconnaissent. Derrière l’écran, nous regardions ces regards, pris dans cette profondeur silencieuse où l’on ne sait plus très bien qui observe qui. On entendait parler de douceur. De vie. De ce lieu devenu une seconde maison sans que personne ne sache vraiment à quel moment cela a commencé. Une maison faite de passages, de retours, de petites fidélités invisibles.

Rien n’était spectaculaire. Rien ne cherchait à séduire. Tout restait à hauteur d’homme. Des gestes simples. Des silences avant les mots. Des rires après. Ce que l’on ne remarque jamais d’ordinaire, et qui pourtant contient la vérité la plus entière. À mesure que le montage avançait, je ne regardais plus seulement un film. Je regardais le temps. Le temps qui s’attache aux corps, aux lieux, aux présences. Le temps qui use un peu mais qui lie beaucoup.

Et puis, sans qu’on puisse dire quand, quelque chose s’est imposé. Pas une idée. Pas un message. Une présence. Une âme. Silencieuse, persévérante, déjà entière. Comme si elle avait précédé le film. Comme si le film ne faisait que lui donner un corps. Quand l’écran s’est éteint, il n’y a pas eu de commentaires immédiats. Chacun est resté un peu dedans, avec la sensation calme et lourde qu’un commencement discret venait d’avoir lieu.

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