Nous ne l’avons pas vue. Nous étions de l’autre côté de la porte — celle, épaisse et réfrigérée, d’une chambre froide. Chez Koklikot. Dedans, Camille. Dedans, les fleurs. Dedans, le silence glacé d’un petit monde suspendu dans quelques mètres carrés. Et pourtant, nous savions. Nous sentions. Par les bruits infimes filtrés à travers le métal : le froissement d’un tissu, un souffle, le cliquetis discret de l’appareil photo de Dorine, la vibration feutrée de la caméra d’Alexandre. L’art, là, en train d’avoir lieu, hors de notre vue, mais pas de notre présence.
Camille dansait avec les fleurs.
Elle dansait sans témoin, sinon la lumière crue, les pétales muets, l’œil patient de la machine. Un pas, un frisson. Une ondulation entre les tiges, un murmure dans la condensation. Il ne s’agissait pas de spectacle, mais d’un dialogue. Elle répondait à l’espace, à l’humidité, au silence. À la beauté fragile de ce qui est là pour peu de temps. Elle dansait comme on veille quelque chose. Ou quelqu’un.
Et derrière cette porte close, nous retenions le bruit. Le souffle. Car même absente à nos yeux, Camille remplissait la pièce où nous étions. Comme si la danse débordait, glissait sous les joints du monde. Comme si, dans cette chambre froide, quelque chose de très vivant était en train de se dire.