On a rencontré ce matin Marie et Marcel Defossez. Ils ont plus de quatre vingt dix ans et soixante cinq ans de mariage. Le couple doyen de Locon. C’était très émouvant. On a parlé plus d’une heure. On a écouté leur histoire. Leurs histoires, leurs petites et grandes histoires. Marcel a toujours su qu’il fonderait un foyer avec Marie. Marie a mis du temps à se laisser convaincre, mais elle dit avec un air coquin, bon, finalement, je crois que j’ai bien fait de me laisser tenter. Faut voir comment Marcel prend soin d’elle, comment ils se soutiennent et s’accompagnent l’un l’autre. Comment ils se complètent.
En 44, Marcel a devancé l’appel et s’est engagé, puis il a été prisonnier de guerre en Allemagne et a fini par s’évader pour revenir, impatient de retrouver Marie. Il raconte ses souvenirs de travail forcé en Allemagne comme une révélation, comme une découverte essentielle. Il dit que, avec un camarade de détention, ils avaient faim, tellement faim, et qu’ils ont étés affectés dans une ferme en Rhénanie, pour travailler, et que la famille de fermiers les a accueillis avec le sourire, leur a servi un bon repas, et leur a dit de manger doucement, qu’il y avait le temps, qu’il ne fallait pas qu’ils se rendent malades. Marcel dit Si vous aviez vu ma tête ! Je m’étais engagé pour tuer jusqu’au dernier allemand, et tout à coup, je me rendais compte que c’était des gens bien. On en avait tellement entendu, depuis l’enfance, et l’enfance de nos pères, tellement de propagande, depuis les guerres de 1870 et de 14-18, qu’on n’avait jamais pensé sous cet angle. C’étaient des gens bien.