D’habitude, on rencontre les gens pour de vrai, mais là, le « Portrait » a pour thème l’alimentation, alors, même si le territoire est grand, « Les sens du Goût » on ne pouvait pas les rater. Mais on n’était pas au même endroit au même moment. C’est en visio qu’on rencontre Antoine Demailly, coordinateur pédagogique de l’association Les sens du Goût. L’équipe s’adapte à de nouveaux protocoles.
Antoine Demailly travaille depuis plus de 20 ans sur l’éducation alimentaire auprès des enfants et des adultes. Il nous raconte :
« Les sens du goût est une association qui milite pour le plaisir de manger. Un plaisir qui est central pour notre santé et notre bien-être. On trouve que venir les voir en leur parlant de plaisir, c’est un super outil pour aller à la rencontre des gens et mettre les personnes en mouvement.
« On fait des ateliers avec des habitants de tout âge, des formations autour de l’éducation au goût et de l’accompagnement de projet pour créer du lien entre différents acteurs d’un territoire. L’alimentation sur un territoire implique de créer du lien, car c’est un sujet très transversal qui implique beaucoup de gens. L’idée est de créer la rencontre, de créer un contexte joyeux, décontracté et convivial pour aider à la coopération.
« Ce qui nous importe le plus est que les gens repartent de nos ateliers avec de jolis souvenirs sur ce qu’ils ont gouté, sur les personnes qu’ils ont rencontré et sur ce qu’ils ont fait ensemble. Pour nous, intervenants de l’éducation à l’alimentation, c’est la meilleure façon de faire découvrir d’autres aliments, d’élargir sa culture alimentaire et de la partager avec d’autres.
« Par exemple, si on découvre la bouillabaisse chez des amis lors d’un repas super sympa, on aura beaucoup plus envie de la refaire à la maison que si notre médecin nous dit il faut que tu manges de la bouillabaisse, c’est important pour ta santé.
« On n’aborde pas les gens avec un message frontal nutritionnel. Cette méthode, on n’y croit pas. Il faut apprendre à s’effacer. Notre envie principale est de créer auprès des gens des moments où ils se sentent bien au sein d’un groupe, où ils découvrent des recettes, les nôtres ou celles des autres participants. Notre vigilance principale est de ne pas être normatifs et de ne pas dire ce qui est bon à manger ou ce qui ne l’est pas. Finalement notre avis compte très peu, car il n’y a pas de raisons que moi, en tant qu’animateur, j’ai de meilleures solutions que les autres.
« Concrètement, on fait un mixte entre des ateliers cuisine, parfois avec de fiches recettes et d’autre fois pas. Ils peuvent décider de cuisiner autrement que ce qu’on propose. On propose des ateliers sensoriels pendant lesquels on essaie d’être attentifs aux couleurs, aux odeurs, aux textures, aux saveurs des aliments… Puis, on prend un temps pour décrypter les sensibilités de chacun. Ce qui est chouette est qu’on a tous des sensations différentes, des évocations de souvenirs différents autours des couleurs et des saveurs. Ce partage crée des moments conviviaux où chacun se sent écouté et respecté autant que les autres.
« Nous intervenons aussi auprès des enfants. C’est à cet endroit que je parlais d’éducation alimentaire. Pour moi, ce qui est important sur l’éducation alimentaire auprès des enfants, est de sortir du discours et de leur faire vivre des expériences. Simplement, être attentif aux regards sur une rondelle de carotte, le bruit que fait la pomme quand on la croque, la texture d’une mie de pain. Ensuite, vivre l’expérience de cuisiner, ou rencontrer des producteurs. Puis, partager un moment à écouter ce que chacun a vécu et ressenti. Ces échanges créent des moments apaisés autour de l’alimentation. C’est dix mille fois plus efficace d’avoir ces temps en faisant découvrir les aliments que de leur expliquer la nutrition. On éveille leur curiosité, on leur apprend à découvrir de façon très simple chaque aliment. J’espère que cela les outillera pour la vie. En tout cas ces moments créent de belles rencontres.
« L’essentiel pour nous est de bien comprendre que nos comportements alimentaires sont construits de manière complexe par notre histoire familiale, régionale, individuelle et reposent sur des questions économiques, de santé… Quelle est l’accessibilité de chacun à tel ou tel aliment. Face à cette complexité, plus on abordera l’alimentation avec des discours sur ce qu’il faut faire, des injonctions, des propositions normatives, plus on se confronte au risque d’avoir des personnes qui nous disent « je ne peux pas » ou « ce n’est pas ma culture » ou « je n’ai pas envie, moi ce que j’aime, c’est autre chose ». Donc, il faut sortir au maximum du discours et installer les conditions pour créer la rencontre, créer l’écoute, que ce soit pour les enfants et surtout les adultes, qu’ils puissent se sentir respectés et non jugés. »
Quel est ton plat rêvé ?
« Depuis longtemps, je rêve d’un repas, je ne sais pas de quoi il serait composé exactement, mais il serait composé de nombreux aliments qui nous entourent. Au préalable, les endroits où ils poussent seraient filmés en plan fixe. Tout en préparant le repas à plusieurs, sinon ce n’est pas marrant, et en le mangeant, nous serions entourés d’écran qui nous plongent dans les endroits où les aliments ont poussé. »