Murielle, avec deux L, et Jean-Philippe, avec un seul, sont éducateurs de rue à TVAS. On est mandatés par l’aide sociale à l’enfance, sur un territoire mais pas sur des personnes : porte de Champerret, Asnières, Batignolles, un trottoir de l’avenue de Clichy, la rue Curnonski – voilà pour les limites. Les éducateurs de rue s’adressent aux 11-25 ans, mais on ne se défait pas des relations humaines comme ça, sous prétexte que quelqu’un fête ses 22 ans, alors des fois, ça continue un peu plus longtemps. On connaît tous des vieux jeunes qui reviennent nous voir ! L’État demande de plus en plus de donner des chiffres, de faire des tableaux pour rendre compte du travail. Mais les limites sont floues ! Ici, y’a pas de juge pour enfant qui vous dit Vous allez travailler avec telle ou telle personne. On construit lentement des relations où la confiance est garantie par l’anonymat. Parfois, quelqu’un qu’on a vu pendant tant de temps ne revient plus pendant tant de temps. Est-ce qu’on le comptabilise ? On est en tension, ici, entre le réel et l’administration, entre le réel et le politique. Mais c’est le jeu, c’est le jeu. C’est intéressant.
À TVAS, on accueille un groupe d’enfants après l’école, on fait des actions pour fédérer plusieurs quartiers, plusieurs partenaires, on fait des sorties, on va marcher dans Paris – et vous savez, ça a l’air de rien comme ça, mais marcher, ça n’est pas si simple, surtout avec des jeunes gens. On va au cinéma, au bowling. On va plus loin, aussi, on passe de la ville à la campagne, dans des fermes, dans la Creuse, dans le Jura. Et là-bas, on regarde comment on s’organise, en microsociété. Au fil des années, les gens connaissent le travail de TVAS. Leur confiance repose sur l’histoire de l’association, organisée sur le mode de l’autogestion, jusqu’à il y a trois ans, où ils se sont dotés d’une direction.
Vous savez, dans ce travail, les liens tissés sont fragiles, parce qu’ils sont soumis à la libre adhésion des personnes. Du jour au lendemain, si quelqu’un décide de rompre, de partir, on ne peut rien y faire. Alors pour avancer avec ces gens qu’on va chercher, dans la rue, il faut de la franchise, de la délicatesse, de la remise en question. C’est un ajustement permanent. On travaille avec les familles, aussi, on les oriente pour résoudre certains problèmes, et puis cette année, après trois ans de recherche de financements, on a réussi à mettre en place un atelier sociolinguistique pour les adultes en difficulté de lecture et d’écriture. Dans ce quartier, le tissus social est pauvre. là-bas, à Levallois, il y a des richesses, beaucoup de richesses. Le chantier qui borde la rue est gigantesque. Ici, il y a le périphérique. Et à Curnonsky, on est entre les deux, là, coincés. Les gens disent : on est dans un no man’s land. Sur cette drôle de frontière coincée entre le bruit du boulevard périphérique et le bruit du chantier, les éducateurs de rue travaillent. Vous savez quand on est juste une goutte d’eau, on ne remplit pas un vase, malheureusement, dit Murielle (ça, ça dépend du vase, répond Didier). Jean-Philippe explique qu’il voit son travail comme de la transmission et de la contorsion. Transmission et contorsion entre la rue et les élus, entre les individus et les institutions, entre la colère et la paix sociale, entre la révolte et la loi.