C’est sans doute au travers de la fréquentation de l’école privée -jusqu’en classe de première- que j’ai découvert bientôt dans la honte et l’humiliation qui me frappaient, à une époque où l’on ne peut que ressentir, non penser clairement, les différences entre les élèves. Différences qu’on ne relie pas, d’abord, à l’origine sociale explicitement, à l’argent et à la culture dont disposent les parents, et qu’on vit sur le mode de l’indignité personnelle, de l’infériorité et de la solitude. La réussite scolaire elle-même, dans ce cas, n’est pas vécue comme une victoire, mais une chance précaire, bizarre, une espèce d’anomalie, on est de toute façon dans un monde qui ne vous appartient pas. Comme enfant vivant dans un milieu dominé, j’ai eu une expérience précoce et continue de la réalité de classes. Bourdieu évoque quelque part » l’excès de mémoire du stigmatisé », une mémoire indélébile. Je l’ai pour toujours. C’est elle qui est à l’oeuvre dans mon regard sur les gens.