JOSIANE :

Je n’ai pas peur. Disons presque pas peur.
Il faut disséquer la peur. Couper les peurs en petits morceaux.
La découper jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien qu’un petit bout de crainte que l’on peut regarder en face.
Créer ce nouveau rituel magique, cette invention mentale, ne serait-ce que pour en tester ces effets.

Prenons un exemple : j’ai peur du monde. Découpons cette peur du monde.
Je n’ai pas peur du monde en général, il y a même certaines personnes qui m’apaisent.
Donc J’ai peur de certaines personnes. Mais je n’ai pas peur d’elle entièrement. Ce n’est pas les gens qui me font peur mais leur comportement. Je découpe encore.
Les comportements violents me font peur. Les comportements violents non maîtrisés : je n’ai pas peur de la boxe ou du rugby, j’ai peur d’une personne avec un couteau. Un couteau dont cette personne ne sait pas quoi faire. Ce n’est pas le fait que la personne en question ne sache pas quoi faire. C’est le fait qu’elle ait un couteau qui m’effraye. Je regarde le couteau. Je n’ai pas peur des couteaux en général, j’ai peur de ce couteau mal maîtrisé.
Je formule : « sépare toi de ce couteau ». « Pose ce couteau ». Comment faire pour que cette personne et ce couteau se sépare ? Je ne suis plus dans l’effroi. Je suis dans l’action ou dans le questionnement. Je ne subis pas j’agis.

La peur est totalement légitime, là n’est pas la question. Mais la peur vient du fait que l’on pense ne pas pouvoir contrôler.

Un autre exemple : j’ai peur d’une personne étrangère. Etrangère parce qu’elle a des habitudes, des attitudes, des façons que je ne connais pas. Je ne connais même pas son nom, je ne suis pas sûr de réussir à le prononcer.

On a peur de ce que l’on ne sait pas nommer.

Je dois apprendre à nommer.

Comment t’appelles tu ?

Comment s’appelle ce que tu es en train de faire et que je ne comprend pas ?

Qu’est ce que ça veut dire ?

Est ce que je te fais peur aussi ?

Personnellement, je n’ai pas peur de grand chose.

Je n’ai peur d’aucun animal en soi. Parce que je sais ce que sont les animaux. Je sais comment agit un serpent, une souris, une araignée.

Je pourrais avoir peur si un sanglier se trouvait coincé entre un mur et moi. Parce que je sais que le sanglier qui a peur ne se contrôle plus et charge. Mais j’ai peur de sa réaction. Je n’ai pas peur de lui.

A présent que je peux te nommer, t’appeler, faire varier l’intonation de ma voix quand je dis ton nom selon ce que je ressens, il me semble que je peux te connaître un peu mieux.

Moi c’est Josiane. Tu peux le dire avec douceur, ou colère, ou tristesse. Mais je sais que tu connais mon nom, que tu l’as prononcé et donc que tu es d’accord pour que nous entamions une conversation. (…)

 

Wulverdinghe est un village situé dans les Flandres françaises.

Wulverdinghe est une nouvelle tentative de s’intéresser au monde en partant de l’intime. Après Eperlecques, dans lequel je racontais mon adolescence, je prends un nouveau village prétexte, celui cette fois de ma grand-mère.

Faire entrer le récit intime dans la Grande Histoire est l’un de mes axes de travail. Ma Mamie est née en 1939, elle est mon lien le plus direct avec cette Histoire que je n’ai pas connu. Ma grand-mère est catholique, rebouteuse et pratiquante du Reiki. Elle ne se reconnaît en rien dans les luttes de la Manif pour tous et autres Civitas. Avec Wulverdinghe, je cherche à comprendre comment les mêmes croyances peuvent engendrer des rapports au monde différents.

Dans ma rue lilloise, il y a un an environ est apparu le tag suivant : « Les sorcières contre l’impunité policière ». Les sorcières sont de retours.

De nombreuses féministes se réapproprient ce mot, comme les LGBT le mot « queer », une façon de retourner le stigmate, d’en faire un outil de lutte contre les dominations. On a pu entendre le slogan : « nous sommes les descendantes des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler ».
Alors ma grand-mère serait une sorcière catholique. Dans les Flandres françaises, dans lesquelles se trouvent Wulverdinghe, les rebouteux et rebouteuses sont nombreux.ses, on les visite encore mais en cachette. Leur pratiques sont un savant mélange entre pratiques païennes et prières catholiques : des rebuts peut-être de la sorcellerie.

Depuis Eperlecques, je me questionne sur une esthétique de la bienveillance. Comment emmener les spectateurs.trices vers une histoire où tout peut être dit ? Comment ne plus jouer pour celles et ceux avec qui on est déjà d’accord mais aussi pour tous les autres ? De quelle manière l’écriture théâtrale peut-elle devenir un espace de réconciliation ?

Il s’agit alors de ne plus penser la sorcière comme une figure malveillante, mais une personne cherchant à trouver dans son environnement ce qui peut résoudre des problèmes : les plantes, les incantations, les cérémonies en groupe, etc. Et voir ensuite comment je peux à mon tour m’approprier cette façon d’être au monde.

Dans son ouvrage Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique, Starhawk propose des rituels mystiques mais aussi des façons d’organiser la parole dans les groupes, d’utiliser la bienveillance comme outil politique, de résister de manière pacifiste. Cette féministe anti-nucléaire étasunienne des années 80 offre alors une nouvelle image de tous les biais par lesquels peuvent passer les pratiques de « sorcières ».

 

Documents à télécharger

Mise en scène et interprétation: Lucien Fradin

Création sonore: Aurore Magnier

Création lumière: François Pavot

Scénographie : Philémon Vanorlé de La société volatile

Direction d’acteur: Didier Cousin

Regard extérieur: Guy Alloucherie