Texte de Myriam Marzouki paru sur Facebook

Quelques jours de lecture des tribunes et réactions diverses sur fb sur la polémique estivale autour du burkini ont épuisé les provisions de sérénité et d’énergie que j’avais faites cet été loin de France, pour affronter les pénibles mois d’avant mai 2017.
Je suis lasse, en colère, et surtout très pessimiste face à ce déchirement qui revient encore et encore diviser ceux d’entre nous qui devraient faire corps, inventer un avenir commun, identifier les mêmes périls. Sauf que « nous », nous « peuple de gauche », progressistes, ne parlons plus du tout la même langue et ne voyons plus du tout la même réalité. La réconciliation semble impossible parmi nous. Je suis épuisée de me dire que certains de mes amis et moi-même ne donnons plus le même sens aux mots et qu’en réalité cela veut peut-être dire que beaucoup de ceux qui se croient amis ne sont plus du tout amis… Tout le monde dit liberté, féminisme, égalité, paix, laïcité, fraternité mais nous ne mettons plus les mêmes images, ne pensons plus les mêmes processus, derrière ces termes. Voilà ce qui, lorsque j’y pense un peu me met très en colère et lorsque j’y pense un peu plus, commence à me faire peur, vraiment. J’ai d’ailleurs rencontré récemment pour la première fois des Françaises, éduquées, socialement insérées, faisant des métiers intéressants, chacune ayant un pays arabe dans ses origines binationales me dire, séparément, qu’elles envisageaient sérieusement ou préparaient réellement le départ de France tant le climat y devient irrespirable, voire dangereux.
Je n’ai pas l’énergie de refaire la synthèse de ce qui a été écrit de pertinent et de débile au sujet de ce maudit burkini. A chaque argument déployé, je réfléchis à la manière rationnelle de contre-argumenter, tout en ayant la sensation terrible que la rationalité du discours est devenue totalement impuissante. Parmi les choses débiles, ce tweet de Raphaël Enthoven dont je partage et salue très souvent les analyses. Il interpelle les « partisans du burkini » : je ne me définirai jamais comme partisane de cette tenue, pas plus que je ne me définis comme partisane du string qui dépasse du jeans, du jean baggy qui tombe en dessous des fesses, du tatouage sur le visage, ce sont des choses que je trouve au choix, laides, grotesques ou incompréhensibles, mais je ne suis ni pour ni contre, je m’en fous, je regarde ailleurs, je ne pratique pas, je laisse dans les rayons, je tourne la page : chacun affirme ce qu’il veut de ses croyances sur son corps, de ses croyances tout court, de ses névroses, de ses choix esthétiques, il me semble que c’est la seule position libérale TENABLE. Donc, Raphael Enthoven interpelle les partisans du burkini (en fait ceux qui défendent une position de tolérance sans le défendre) et leur demande : « est-ce que au nom de la tolérance vous allez exiger le port du string sur les plages saoudiennes ? » Je découvre que ce tweet lui a valu une série de réponses/objections dont l’argumentaire philosophiquement impeccable de Mathieu Potte-Bonneville parmi d’autres réponses costaudes sur l’indigence intellectuelle, la faute logique de ce tweet. Comment penser dans un message de 140 signes, d’ailleurs ? Enthoven n’est pas du tout un débile mais son message était débile. Je laisse donc cette proposition de prendre la capitalo-théocratie dictatoriale saoudienne comme référence pour nos pratiques françaises de côté. Les justifications/clarifications apportées après-coup par Raphael Enthoven à son message me semblent vraiment faibles.
Je lis aussi parmi d’autres arguments à la con que les femmes qui font ce choix de la mode muslim renverraient de facto aux autres femmes un message du type « bande d’impudiques – voire de salopes – qui vous exhibez à moitié nues, nous au moins on sait se tenir sans exciter les mâles ». Et donc toutes les femmes, ultra majoritaires en France, qui se baignent en maillot de bain se sentiraient légitimement agressées par ce « burkinidiscursif » qui les insulterait par sa simple existence muette. Ce type d’argument repose sur deux postulats totalement contestables :
– Postulat 1 : il est possible d’inférer un discours univoque d’un vêtement. Mais si on arrive à inférer aussi facilement un discours d’un vêtement, alors pourquoi ne pas inférer de la même manière de toutes une série d’autres tenues féminines un discours qui serait également insultant pour toute une catégorie de femmes ? Ainsi le jeans hyper slim, le mini-short, le stiletto seraient à condamner car, assises à côté d’un canon taille 36 en tenue moulante, dénudée, échancrée, de nombreuses femmes se sentiraient agressées, humiliées, remises en cause par le discours suivant énoncé par cette tenue : « t’es qu’une grosse moche complexée et mal-baisée ». Au nom de ce discours qu’on ENTENDRAIT simplement à VOIR un vêtement il faudrait interdire tous ces vêtements qui portent atteinte à la dignité de très nombreuses femmes : 47% de la population française adulte est en effet en surpoids ou obèse selon un récent article de la revue Esprit et de très nombreuses femmes ne peuvent porter certains standards de la mode sexy qu’au prix de bourrelets pathétiques sur tout le corps.
– Postulat 2 : « pas besoin d’interroger les sujets d’une pratique sur leur pratique, il y a des gens beaucoup mieux placés pour parler à leur place ». Qui a récemment entendu une femme portant cette tenue s’exprimer sur son choix ? Connait-on les motivations diverses de celles qui le portent ? Non. Cela n’intéresse personne. La linguiste Marie-Anne Paveau a écrit un texte rigoureux et très éclairant là-dessus qu’on trouve sur son blog penseedudiscours.hypotheses.org. Elle appelle cela « l’énonciation ventriloque » : parler d’un sujet sans les concernées. Ce pourrait être un trait d’une partie de la gauche gouvernementale et des médias dominants absolument évident dans ces affaires de Burkini : « je dis ce que vous pensez et je sais ce que vous dîtes »
Bref, je m’étais promis de mettre cette polémique à distance et je n’ai pas pu m’empêcher de prendre part à mon tour, de manière sans doute stérile à la controverse nationale. Mais cela devient vraiment pesant et inquiétant ces jours-ci de sentir une partie de son entourage idéologique alimenter à son corps défendant la puanteur xénophobe de ce qui alimentera le vote FN de 2017. Je précise pour finir et éviter quelques réactions/questions pénibles
Quelle est mon opinion personnelle sur le burkini ? Je trouve qu’il montre autant qu’il cache et donc que les femmes qui le portent pour se couvrir échouent en grande partie… La seule solution de ne rien montrer de son corps reste évidemment de prendre un bain ou de se faire construire une piscine dans son jardin… Est-ce que je le porterais ? Non. Est-ce que je porterais un bikini string ? Non plus ? Est-ce que j’ai envie qu’un arrêté municipal mesure la longueur et la forme de mon costume de bain ? NON. Foutez-nous la paix.
Dans cette polémique, encore une fois : « La France étonna le monde », cf Badiou en 2004 sur le voile : on tombe dans l’absurde : qui distinguera une sportive en combinaison de plongée d’une porteuse de burkini ?
Oui bien sûr le Burkini est à l’agenda de l’islamisme politique, mais interdire cette tenue sur les plages NE FERA PAS reculer l’idéologie qui promeut cette tenue.
ET c’est là qu’arrive l’argument imparable de la reculade : « mais si on cède là-dessus, on est foutus, on cèdera sur tout et on va se faire laminer ». La théorie du grand remplacement n’est pas loin. La France est championne de la prise de chou idéologique qui avive les tensions et ne résout rien concrètement car elle semble tout simplement ne pas avoir confiance dans ses valeurs et ses principes. Vouloir interdire le burkini pour lutter contre le terrorisme, c’est comme suspecter son ado qui fume un pétard de finir au crack dans le caniveau ou à l’héroïne intraveineuse quelques années plus tard et se battre avec lui pour qu’il ne fume plus. Il y a des différences de degrés et des différences de nature, le burkini ne mène pas crime de masse islamiste/terroriste/daechien, pas plus que le pétard adolescent ne mène inéluctablement à la drogue dure et à l’overdose.
On peut être intransigeant au nom de principes simples : à la piscine municipale, au nom de règles d’hygiène, tout le monde porte des tenues règlementées en nature de tissus, longueur et largeur – on ne se baigne ni en jeans, ni en robe, ni en chaussures, ni en gants, ni en maillot tricoté, ni avec un pagne- et libéral dans les espaces publics. Sur une plage, dans un espace public, je choisis mon costume de plage selon mes convictions, ma morphologie, mes goûts esthétiques. La pauvre dame difforme par surpoids que j’ai vue hier dans une piscine municipale en Alsace portait un maillot de bain short qui lui descendait jusqu’aux genoux et contenait tant bien que mal des chairs qu’un maillot de bain échancré n’aurait pas tenues. En termes de longueur de tissus on était plus proche du burkini que du bikini. On en viendrait donc désormais par féminisme à exiger des femmes qu’elles se découvrent alors qu’on a passé tant de siècles à refuser qu’elles le fassent ? JE SUIS POUR QUE LES FEMMES S’HABILLENT COMME ELLES LE SOUHAITENT.
Autre point pragmatique : refuser à ces femmes qui portent cette tenue de se baigner sur une plage publique, à côté d’autres femmes ET HOMMES en maillot, est le meilleur moyen de les renvoyer à leur intérieur clos. C’est le pire des effets pervers : à vouloir leur émancipation, on les enferme.
Dernier point concret : un burkini n’est qu’un vêtement. J’ai rencontré récemment plusieurs femmes qui ont porté le voile et l’on enlevé ou l’ont porté de manière couvrante pour le faire évoluer ensuite vers une version beaucoup plus « light ». Un burkini ça peut se porter à un moment et ne plus être porté ensuite. Comme le voile.
En revanche les traces, les blessures, la violence d’un débat injuste, agressif, obsessionnel, sont durables et ne peuvent engendrer que le pire.

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Merci à tous ceux qui ont posté un retour sympathique à mon post précédent. Je ne pense pas nécessaire de répéter ce qui a très bien été exposé ailleurs sur fb, en particulier dans le fil de discussion de Sylvain Bourmeau. Tu trouveras peut-être Iris Bucher des réponses à ton objection : la rigueur intellectuelle autant que l’efficacité politique exigent de séparer totalement deux discours : ce qu’on pense du Burkini, ce qu’il représente, l’idéologie qui peut le promouvoir et ce qu’on décide juridiquement dans un régime politiquement libéral à son sujet. Voilà ce que Sylvain écrit et je le suis absolument : « défendre le droit imprescriptible de porter un accoutrement n’a rien à voir avec le fait de défendre cet accoutrement. C’est pourtant simple. Hélas l’illibéralisme politique gagne chaque jour du terrain dans ce pays, y compris à gauche. C’est très inquiétant. ».
Je lis dans Le Monde daté du 19 août ce paragraphe insensé d’un monsieur pourtant chercheur au CNRS : « En France, une norme sociale demande une certaine discrétion dans l’expression publique de ce qui met à part : rang social, convictions politiques ou religieuses. On a là un élément essentiel de la paix sociale. Il ne s’agit pas d’une stricte neutralité, telle celle qui est associée à une vision radicale de la laïcité, mais d’une forme de modération- ne pas provoquer. Le chrétien le plus convaincu et qui n’en fait pas mystère n’aurait pas idée de coudre sur ses vêtements la croix des croisés. Ne pas respecter cette norme, c’est refuser de participer à un monde commun ». C’est absolument fou de lire cela dans Le Monde ! En fait la France ne serait pas seulement une République indivisible, laïque, démocratique, sociale, c’est aussi une République DISCRETE et aucun d’entre nous ne le savait ! Frères punks, passez votre chemin, cassez-vous avec vos chiens. Frères bling-bling vous n’êtes plus les bienvenus, cessez d’exhiber vos signes ostentatoires de rang social, Frère Abbé Pierre en soutane à l’Assemblée Nationale, retourne-toi dans ta tombe, tu as provoqué la nation. Ou bien, ce ne serait pas d’eux qu’il est question ? J’ai vu hier une jeune nana portant un tee-shirt sur lequel s’étalait un élégant : BONJOUR BITCHES entre et sur les seins. Je n’ai pas trouvé cela hyper-modéré et fraternel question discrétion pour pas provoquer et vivre ensemble. Mais ce n’était pas l’expression d’une conviction politique ou d’une aliénation religieuse, juste de la connerie et de la laideur recyclées par le capitalisme qui fourgue de la merde à la jeunesse consumériste. Mais ça, personne n’a encore cherché sérieusement à l’interdire. C’est en vente sur internet, 27 euros quand même.
Pour lutter vraiment contre le terrorisme, ou du moins tenter de neutraliser ce qui pousse des Français à se transformer en tueurs de masse, je pense que le texte de Nancy Houston publié dans Libération de ce jour ouvre une piste largement plus intéressante. Elle part de ce constat que je m’étais fait moi-même et je m’étonnais que personne ne réfléchisse sur cette évidence a priori stérile : tous les terroristes sont des jeunes mâles. Sa tribune s’intitule « quand les virilités partent en vrille », en voici la fin « Il est probable qu’on ne puisse pas faire grand-chose face au fanatisme et au populisme des autres pays ; mais chez nous, le discours humaniste serait mieux entendu s’il était moins chaste, moins châtié, moins châtré. S’il regardait en face le fait criant que les initiatives terroristes sont prises à 100% par de jeunes corps mâles (…). Voici les questions qu’il s’agirait donc de poser : comment offrir à ces hommes autre chose en matière de liberté sexuelle que la pornographie ? Autre chose en matière d’emploi que le deal ? Autre chose en matière de respect que les injures et les vexations auxquelles ils sont exposés depuis l’enfance ? Autre chose en matière d’avenir que le RSA et les CDD ? Là, on aura peut-être enfin jeté une pierre dans le jardin du fanatisme et du populisme ». Programme plus ambitieux et à terme plus efficace pour lutter contre le terrorisme que de verbaliser 200 nanas qui barbotent dans l’eau en tenues de plongée.

2 réflexions au sujet de « Texte de Myriam Marzouki paru sur Facebook »

  1. Par l’extrème complexification de nos moyens de communication, savoir si notre pensée est entendue à autrui ne peut que devenir de plus en plus difficile, de plus en plus tortueuse, de plus en plus marquée par la frustration de rester retranché sur sa propre solitude, et donc sur sa propre impasse d’exister en déphasage avec ce que peut penser cet autre. Des langues différentes pour parler d’une réalité aussi vague et équivoque qu’un vêtement, c’est normal, dans la mesure où les mass médias ne sont plus générateur de grands événements selon l’échelle de leur réel le plus morne et le plus plat.
    Nous sommes aux aguets en train de saisir si oui ou non peut surgir un monde commun, face à la montée accélérée d’une discordance qui aggrave le moteur de son silence, et donc qui par aggravation de ce silence, relie tout de même les existences à partager le même réel, mais un réel dans lequel on se cogne et dans lequel on ne voit qu’encore et encore l’accroissement de cette discordance nous rappeler à l’ordre de son chaos. Il est évident qu’aujourd’hui, une parole claire et nette sur le terrorisme, sur la crise, sur les femmes voilées, est compromise en réalité par le flot ininterrompue de ce qui reste à entendre, que la parole de l’autre sera toujours pour objecter de garder le silence, c’est à dire de continuer encore et encore à croire qu’on peut s’entendre, mais selon l’hétérorythmique discordance chaotique de ces langues qui ne nomment pas de la même manière le réel qui fuit cette parole, parce qu’emportée par un autre événement qui fait trompeusement époque comme nouveau chaos.
    Car qu’est-ce qui a la prétention de faire réellement époque aujourd’hui?
    Qu’est-ce qui fait événement?
    Certainement notre déception de voir encore et encore à l’ordre du jour qu’un nouveau silence va suspendre à croire qu’une époque commence, tout en voyant bien que ce qui commence n’est que chaos d’un nouveau silence, encore à dire et redire que le réel continue sa fuite, par volonté et par hasard.

  2. L’art est la puissance créatrice de ce qui donne à toute existence, le courage de métamorphoser sa révolte en silence du big bang.
    Ce n’est pas un langage, ce n’est pas une culture, ce n’est pas une affaire de goût, c’est ce qui permet à l’homme de continuer à aimer en lui l’énergie noire du féminin qui sommeille dans son impasse de chômeur de l’absolu entraîné par les secousses sismiques du chaos de son temps présent sans époque.

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