Le temps a filé comme un lièvre. Il attendait que je m’avance un peu vers lui et il a tracé le long du chemin avant de disparaître par un petit talus, dans un champ de blé. Comme l’horizon qui recule tout le temps au fur et à mesure que tu crois t’en approcher. Comme si l’horizon était une seconde partie de toi que tu n’arrivais jamais à rejoindre.
Et si déjà à vingt ans tu imaginais prendre ta retraite, qu’en est il alors quarante ans plus tard ? Je ne pense pas que dans ces métiers de la culture, des arts et tout le toutim, on ait moins envie de tourner la page qu’ailleurs. On se lasse de tout, n’est-ce pas ? Les choses ne sont jamais aussi évidentes qu’on se les imagine. Si c’était à refaire, si j’en avais la possibilité, je ne m’embarquerais peut-être pas dans cette voie-là. J’ai eu tellement de chance de vivre de ça ! Qu’on me l’ait permis ! Le statut d’intermittent, les subventions ! Je suis passé entre les mailles du filet ; c’est un privilège, dans ce monde. Je me suis dit, tellement de fois, même si c’est une phrase négative, c’est déjà bien d’en être arrivé là, vu là d’où tu viens ! Si c’était à refaire, je ne m’en sortirais jamais aussi bien. Comme disent les jeunes, j’ai eu trop de la chance !
Alors si c’était à refaire, je serais agent de police, comme mon frère Fernand.
Il semblerait pourtant qu’à la vérité, on n’ait pas le choix, parce que d’après Nietzsche, on renaîtrait pour revivre exactement la même vie. C’est l’éternel retour. Le philosophe imagine que le temps est cyclique et non pas linéaire. Le cosmos reproduirait jusque dans les moindres détails exactement la même chose, à l’infini.
Je repars vers l’horizon, vers les lièvres et les champs de blé.