Lettre à Jean jacques de Jules Desgoutte Membre de Autres Parts/Art Factories

Jean Jacques,

Ton message, au moment où l’association Art Factories joue ses heures les plus difficiles, à trois mois de la fin d’une année qui sera décisive pour notre sort, me laisse perplexe.
AF/AP est aujourd’hui, pour reprendre tes mots, ‘dans une situation critique de résistants isolés’. Nous avons perdus tous nos soutiens institutionnels. Nos concepts sont récupérés. Nos membres, pour beaucoup, sont dans une situation de fragilité économique et politique telle qu’elle mange leur disponibilité à l’engagement militant. Mais nous n’avons pas jeté l’éponge, loin s’en faut : la petite équipe qui porte aujourd’hui cette association se bat, avec pugnacité, sur tous les fronts, et remporte des victoires. Non seulement nous n’avons rien cédé, mais au contraire, nous trempons notre lame dans le feu de l’adversité.
Quand tu dis «  le recensement « large » du réseau de lieux et structures censés être porteur de valeurs que je défends « , je vais supposer que tu parles de la CNLII. 
 
La CNLII n’est pas AF/AP, loin s’en faut ! 
 
Je regrette que tu n’aies pas été présents aux réunions du comité de pilotage de la CNLII : tu y as ta place, et tu aurais pu te convaincre du combat que nous y menons, Joël, Fred et moi, pour défendre l’approche radicale qui est la notre – nous y aurions parlé à l’unisson, car le constat que tu fais sur l’époque, la situation des lieux, et les enjeux politiques, est bien celui que nous portons, au nom d’AF/AP. Et comme tu l’imagines, il fait polémique. Tu n’aurais pas été de trop, pour faire entendre nos analyses et nos positions.
 
La CNLII est un rassemblement large de lieux, à l’échelle nationale, représentée aujourd’hui par des réseaux professionnels rassemblés autour de la conviction partagée de l’importance de la question des lieux intermédiaires. Cela ne veut pas dire qu’ils ont tous une conscience claire des enjeux, ni une détermination politique forte. Elle rend compte d’une évolution des acteurs : les lieux intermédiaires se sont multipliés, leur détermination politique s’est affaiblie. C’est l’âge culturel des friches, après l’âge politique. Cet élargissement de la base pose problème, en terme d’engagement, mais il est une puissance d’agir que nous ne pouvons rater : les initiatives de ce type se sont multipliées sur le territoire. Le rôle d’AF/AP, à ce titre, c’est de transmettre à cette nouvelle génération d’acteurs la conscience politique et les manières de faire dont nous sommes porteurs. Le rôle d’AF/AP, c’est de les convaincre : car la CNLII est un vecteur puissant pour faire nombre, et construire un rapport de force avec le politique que nous serions incapable de porter seuls.
Face à la récupération de nos discours, il convient de garder une longueur d’avance. Les communs, l’intermédiation, l’intermédialité, les nouvelles territorialités, voilà quelques-uns des concepts que nous avons défriché récemment,  et qui permettent de persévérer dans ce que nous avons d’abord formulé à travers les concepts de création partagée, art participatif, nouveaux territoires de l’art, etc… Si nous sommes capable d’accroitre la portée de notre discours plus vite qu’il est récupéré, notre surface porteuse augmente, et c’est cela qui importe.
Dans les raisons que tu donnes pour nous expliquer ton retrait, il y a des accusations à demi-mots. Si tu vois, parmi les membres actuels du réseau AF/AP, des hypocrites, des fausses friches, des vendus à l’industrie culturelle ou aux institutions, nomme-les clairement. Moi, ce que je vois, ce sont des gens courageux et convaincus. Des artistes prêts renoncer à la carrière, pour faire ce qu’ils croient juste. Une véritable connaissance du territoire, une détermination à le réapproprier, de l’appétit, de l’imagination, de la force.
Quant à l’insurrection qui vient, moi, musicien qui depuis un an suis privé de mes droits d’intermittent par mon pole-emploi, sous des prétextes toujours plus fallacieux et délirants, moi dont le collectif d’artistes a perdu son équipe administrative, et dont les dirigeants sont tous les deux au RSA. Moi qui partage quelques maigres espaces de travail, dans une mutualisation de la misère toujours plus compliqué, dont le travail sur l’espace public est empêché par l’état d’urgence, etc, etc…, je vais te dire, non seulement je l’attends, mais je la prépare. Elle passe par la synergie entre les mouvements qui luttent contre les nouvelles enclosures, par les droits du vivant, la réappropriation de l’espace public, et la liberté de circulation des connaissances.  Pour y contribuer efficacement, nous devons à tous les niveaux, créer des passages entre les champs, nous avons à fédérer nos luttes.
Tu es en colère, mais tu n’es pas le seul.
Alors, plutôt, que de la retourner contre nous, ce qui, je crois, serait la fourvoyer, donne-nous ta colère – nous en avons besoin !
Rien n’est joué  : le printemps sera chaud !

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